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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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des sens, ayant fort peu le tact et la mesure que demande le gouvernement d'une telle maison.
    Cette maison vivait de deux ressources. D'une part, elle avait de Toulon deux ou trois religieuses de familles consulaires qui, apportant de bonnes dots, faisaient ce qu'elles voulaient. Elles vivaient avec les moines Observantins qui dirigeaient le couvent. D'autre part, ces moines, qui avaient leur ordre répandu à Marseille et partout, procuraient de petites pensionnaires et des novices qui payaient ; contact fâcheux, dangereux pour les enfants. On l'a vu par l'affaire d'Aubany.
    Point de clôture sérieuse. Peu d'ordre intérieur. Dans les brûlantes nuits d'été de ce climat africain (plus pesant, plus exigeant aux gorges étouffées d'Ollioules), religieuses et novices allaient, venaient fort librement. Ce qu'on a vu à Loudun en 1630 existait à Ollioules, tout de même, en 1730. La masse des religieuses (douze à peu près sur les quinze que comptait la maison), un peu délaissées des moines qui préféraient les hautes dames, étaient de pauvres créatures ennuyées, déshéritées ; elles n'avaient de consolations que les causeries, les enfantillages, certaines intimités entre elles et avec les novices.
    L'abbesse craignait que la Cadière ne vit trop bien tout cela. Elle fit difficulté pour la recevoir. Puis, brusquement, elle prit son parti en sens tout contraire. Dans une lettre charmante, plus flatteuse que ne pouvait l'attendre une petite fille d'une telle dame, elle exprima l'espoir qu'elle quitterait la direction de Girard. Ce n'était pas pour la transmettre à ses Observantins, qui en étaient peu capables. Elle avait l'idée piquante, hardie, de la prendre elle-même et de diriger la Cadière.
    Elle était fort vaniteuse. Elle comptait s'approprier cette merveille, la conquérir aisément, se sentant plus agréable qu'un vieux directeur jésuite. Elle eût exploité la jeune sainte au profit de sa maison.
    Elle lui fit l'honneur insigne de la recevoir au seuil, sur la porte de la rue. Elle la baisa, s'en empara, la mena chez elle dans sa belle chambre d'abbesse et lui dit qu'elle la partagerait avec elle. Elle fut enchantée de sa modestie, de sa grâce maladive, d'une certaine étrangeté, mystérieuse, attendrissante. Elle avait souffert extrêmement de ce court trajet. L'abbesse voulut la coucher, et la mettre dans son propre lit. Elle lui dit qu'elle l'aimait tant qu'elle voulait le lui faire partager, coucher ensemble comme sœurs.
    Pour son plan, c'était peut-être plus qu'il ne fallait, c'était trop. Il eût suffi que la sainte logeât chez elle. Par cette faiblesse singulière de la coucher avec elle, elle lui donnait trop l'air d'une petite favorite. Une telle privauté, fort à la mode entre les dames, était chose défendue dans les couvents, furtive, et dont une supérieure ne devait pas donner l'exemple.
    La dame fut pourtant étonnée de l'hésitation de la jeune fille. Elle ne venait pas sans doute uniquement de sa pudeur ou de son humilité. Encore moins certainement de la personne de la dame, relativement plus jeune que la pauvre Cadière. dans une fleur de vie, de santé, qu'elle eût voulu communiquer à sa petite malade. Elle insista tendrement.
    Pour faire oublier Girard, elle comptait beaucoup sur l'effet de cet enveloppement de toutes les heures. C'était la manie des abbesses, leur plus chère prétention, de confesser leurs religieuses (ce que permet sainte Thérèse). Cela se fût fait de soi-même dans ce doux arrangement. La jeune fille n'aurait dit aux confesseurs que le menu, eût gardé le fond de son cœur pour la personne unique. Le soir, la nuit, sur l'oreiller, caressée par la curieuse, elle aurait laissé échapper maints secrets, les siens, ceux des autres.
    Elle ne put se dégager d'abord d'un si vif enlacement. Elle coucha avec l'abbesse. Celle-ci croyait bien la tenir, et doublement, par des moyens contraires, et comme sainte, et comme femme, j'entends comme fille nerveuse, sensible, et, par faiblesse, peut-être sensuelle. Elle faisait écrire sa légende, ses paroles, tout ce qui lui échappait. D'autre part elle recueillait les plus humbles détails de sa vie physique, en envoyait le bulletin à Toulon. Elle en aurait fait son idole, sa mignonne poupée. Sur une pente si glissante, l'entraînement, sans doute, alla vite. La jeune fille eut scrupule et comme peur. Elle fit un grand effort, dont sa langueur l'eût fait croire incapable. Elle demanda

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