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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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aux voisins : « Au secours ! Le diable étrangle ma sœur ! » Ils accouraient, presque en chemise. Les médecins et chirurgiens qualifiant son état une suffocation de la matrice , voulurent lui mettre des ventouses. Pendant qu'on les allait chercher, ils parvinrent à lui desserrer les dents et lui firent avaler une goutte d'eau-de-vie, ce qui la rappela à elle-même. Cependant les médecins de l'âme arrivaient aussi à la fille, un vieux prêtre, confesseur de la mère Cadière, puis des curés de Toulon. Tant de bruit, de cris, l'arrivée de ces prêtres en grand costume, l'appareil de l'exorcisme, avait rempli la rue de monde ; les arrivants demandaient : « Qu'y a-t-il ? — C'est la Cadière, ensorcelée par Girard. » On peut juger de la pitié, de l'indignation du peuple.
    Les jésuites, très-effrayés, mais voulant renvoyer l'effroi, firent alors une chose barbare. Ils retournèrent chez l'évêque, ordonnèrent et exigèrent qu'on poursuivît la Cadière, qu'on l'attaquât le jour même, — que cette pauvre fille, sur le lit où elle râlait tout à l'heure, après cette horrible crise, reçût à l'improviste une descente de justice...
    Sabatier ne lâcha pas l'évêque que celui-ci n'eût fait appeler son juge, son official, le vicaire général Larmedieu, et son promoteur (ou procureur épiscopal), Esprit Reybaud, et qu'il ne leur eût dit de procéder sur l'heure.
    C'était impossible, illégal, en droit canonique. Il fallait un informé préalable sur les faits, avant d'aller interroger. — Autre difficulté : le juge ecclésiastique n'avait droit de faire une telle descente que pour un refus de sacrement . Les deux légistes d'Église durent faire cette objection. Sabatier n'écouta rien. Si les choses traînaient ainsi dans la froide légalité, il manquait son coup de terreur.
    Larmedieu, ou Larme-Dieu, sous ce nom touchant, était un juge complaisant, ami du clergé. Ce n'était pas un de ces rudes magistrats qui vont tout droit devant eux, comme d'aveugles sangliers, dans le grand chemin de la loi, sans voir, distinguer les personnes. Il avait eu de grands égards dans l'affaire d'Aubany, le gardien d'Ollioules. Il avait poursuivi assez lentement pour qu'Aubany se sauvât. Puis, quand il le sut à Marseille, comme si Marseille eût été loin de France, ultima Thule , ou la Terra incognita des anciens géographes, il ne bougea plus. Ici, ce fut tout autre chose : ce juge paralytique pour l'affaire d'Aubany eut des ailes pour la Cadière, et les ailes de la foudre. Il était neuf heures du matin lorsque les habitants de la ruelle virent avec curiosité arriver chez les Cadière une fort belle procession, messire Larmedieu en tête, et le Promoteur de la cour épiscopale, honorablement escortés de deux vicaires de la paroisse, docteurs en théologie. On envahit la maison. On interpella la malade. On lui fit faire serment de dire vrai contre elle-même, serment de se diffamer en disant à la justice ce qui était de conscience et de confession.
    Elle pouvait se dispenser de répondre, nulle formalité n'ayant été observée. Mais elle ne disputa pas. Elle jura, ce qui était se désarmer, se livrer. Car, étant liée une fois par le serment, elle dit tout, même les choses honteuses et ridicules dont l'aveu est si cruel pour une fille.
    Le procès-verbal de Larmedieu et son premier interrogatoire indiquent un plan bien arrêté entre lui et les jésuites. C'était de montrer Girard comme la dupe et la victime des fourberies de la Cadière. Un homme de cinquante ans, docteur, professeur, directeur de religieuses, qui cependant est resté si innocent et si crédule, qu'il a suffi pour l'attraper d'une petite fille, d'un enfant ! La rusée, la dévergondée, l'a trompé sur ses visions, mais non entraîné dans ses égarements. Furieuse, elle s'en est vengée en lui prêtant toute infamie que pouvait lui suggérer une imagination de Messaline.
    Bien loin que l'interrogatoire confirme rien de tout cela, ce qu'il a de très-touchant, c'est la douceur de la victime. Visiblement elle n'accuse que contrainte et forcée par le serment qu'elle a prêté. Elle est douce pour ses ennemis, même pour la perfide Guiol, qui (dit son frère) la livra, qui fit tout pour la corrompre, qui, en dernier lieu, la perdit en lui faisant rendre les papiers qui eussent fait sa sauvegarde.
    Les Cadière furent épouvantés de la naïveté de leur sœur. Dans son respect pour le serment, elle s'était

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