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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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que de les oublier ! Et, cependant, quoi qu'il en coûte, on est obligé de le dire, certaines traces échappent, sont déjà moins sensibles ; certains traits du visage sont, non pas effacés, mais obscurcis, pâlis. Chose dure, amère, humiliante, de se sentir si fuyant et si faible, onduleux comme l'eau sans mémoire ; de sentir qu'à la longue on perd du trésor de douleur qu'on espérait garder toujours !... Rendez-la-moi, je vous prie ; j'y tiens trop à cette riche source de larmes... Retracez-moi, je vous supplie, ces effigies si chères... Si vous pouviez du moins m'en faire rêver la nuit !
     
    Plus d'un dit cela en novembre. Et, pendant que les cloches sonnent, pendant que pleuvent les feuilles, ils s'écartent de l'église, disant tout bas : « Savez vous bien, voisin ?... Il y a là-haut certaine femme dont on dit du mal et du bien. Moi, je n'ose en rien dire. Mais elle a puissance au monde d'en bas. Elle appelle les morts, et ils viennent. Oh ! si elle pouvait (sans péché, s'entend, sans fâcher Dieu) me faire venir les miens !... Vous savez, je suis seul, et j'ai tout perdu en ce monde. — Mais cette femme, qui sait ce qu'elle est ? Du ciel ou de l'enfer ? Je n'irai pas (et il en meurt d'envie)... Je n'irai pas... Je ne veux pas risquer mon âme. Ce bois, d'ailleurs, est mal hanté. Maintes fois on a vu sur la lande des choses qui n'étaient pas à voir... Savez-vous bien ? la Jacqueline qui y a été un soir pour chercher un de ses moutons ? eh bien, elle est revenue folle... Je n'irai pas. »
    En se cachant les uns des autres, beaucoup y vont, des hommes. A peine encore les femmes osent se hasarder. Elles regardent le dangereux chemin, s'enquièrent près de ceux qui en reviennent. La pythonisse n'est pas celle d'Endor, qui, pour Saül, évoqua Samuel ; elle ne montre pas les ombres, mais elle donne les mots cabalistiques et les puissants breuvages qui les feront revoir en songe. Ah ! que de douleurs vont à elles ! La grand-mère elle-même, vacillante, à quatre-vingts ans, voudrait revoir son petit-fils. Par un suprême effort, non sans remords de pécher au bord de la tombe, elle s'y traîne. L'aspect du lieu sauvage, âpre, d'ifs, et de ronces, la rude et noire beauté de l'implacable Proserpino, la trouble. Prosternée et tremblante, appliquée à la terre, la pauvre vieille pleure et prie. Nulle réponse. Mais quand elle ose se relever un peu, elle voit que l'enfer a pleuré.
     
    Retour tout simple de nature. Proserpine en rougit. Elle s'en veut. « Âme dégénérée, se dit-elle, âme faible ! Toi qui venais ici dans le ferme désir de ne faire que du mal... Est-ce la leçon du maître ? Oh ! qu'il rira !
    « — Mais, non ! Ne suis-je pas le grand pasteur des ombres, pour les faire aller et venir, leur ouvrir la porte des songes ? Ton Dante, en faisant mon portrait, oublie mes attributs. En m'ajoutant cette queue inutile, il omet que je tiens la verge pastorale d'Osiris, et que, de Mercure, j'ai hérité le caducée. En vain on crut bâtir un mur infranchissable qui eût ferme la voie d'un monde à l'autre ; j'ai des ailes aux talons, j'ai volé par-dessus. L'Esprit calomnié, ce monstre impitoyable, par une charitable révolte, a secouru ceux qui pleuraient, consolé les amants, les mères. Il a eu pitié d'elles contre le nouveau dieu. »
    Le moyen âge, avec ses scribes, tous ecclésiastiques, n'a garde d'avouer les changements muets, profonds, de l'esprit populaire. Il est évident que la compassion apparaît désormais du côté de Satan. La Vierge même, idéal de la Grâce, ne répond rien à ce besoin du cœur, l'Église rien. L'évocation des morts reste expressément défendue. Pendant que tous les livres continuent à plaisir ou le démon pourceau des premiers temps, ou le démon griffu, bourreau du second âge, Satan a changé de figure pour ceux qui n'écrivent pas. Il tient du vieux Pluton, mais sa majesté pâle, nullement inexorable, accordant aux morts des retours, aux vivants de revoir les morts, de plus en plus revient à son père ou grand-père, Osiris, le pasteur des âmes.
    Par ce point seul, bien d'autres sont changés. On confesse de bouche l'enfer officiel et les chaudières bouillantes. Au fond, y croit-on bien ? concilierait-on aisément ces complaisances de l'enfer pour les cœurs affligés avec les traditions horribles d'un enfer tortureur ? Une idée naturalise l'autre, sans l'effacer entièrement, et il s'en forme une

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