La Sorcière
des volcans.
La première fleur de Satan, je te la donne aujourd'hui pour que tu saches mon premier nom, mon antique pouvoir. Je fus, je suis le roi des morts ... Oh ! qu'on m'a calomnié !... Moi seul (ce bienfait immense me méritait des autels), moi seul, je les fais revenir... »
Pénétrer l'avenir, évoquer le passé, devancer, rappeler le temps qui va si vite, étendre le présent de ce qui fut et de ce qui sera, voilà deux choses proscrites au moyen âge. En vain. Nature ici est invincible ; on n'y gagnera rien. Qui pèche ainsi est homme. Il ne le serait pas, celui qui resterait fixé sur son sillon, l'œil baissé, le regard borné au pas qu'il fait derrière ses bœufs. Non, nous irons toujours visant plus haut, plus loin et plus au fond. Cette terre, nous la mesurons péniblement, mais la frappons du pied, et lui disons toujours : « Qu'as-tu dans tes entrailles ? Quels secrets ? quels mystères ? Tu nous rends bien le grain que nous le confions. Mais tu ne nous rends pas cette semence humaine, ces morts aimés que nous t'avons prêtés. Ne germeront-ils pas, nos amis, nos amours, que nous avions mis là ? Si du moins pour une heure, un moment, ils venaient à nous ! »
Nous serons bientôt de la terra incognita où déjà ils ont descendu. Mais les reverrons-nous ? Serons-nous avec eux ? Où sont-ils ? Que font-ils ? — Il faut qu'ils soient, mes morts, bien captifs pour ne me donner aucun signe ! Et moi, comment ferai-je pour être entendu d'eux ? Comment mon père, pour qui je fus unique et qui m'aima si violemment, comment ne vient-il pas à moi ?... Oh ! des deux côtes, servitude ! captivité ! mutuelle ignorance ! Nuit sombre où l'on cherche un rayon 29. .
Ces pensées éternelles de nature, qui, dans l'antiquité, n'ont été que mélancoliques, au moyen âge, elles sont devenues cruelles, amères, débilitantes, et les cœurs en sont amoindris. Il semble que l'on ait calculé d'aplatir l'âme et la faire étroite et serrée à la mesure d'une bière. La sépulture servile entre les quatre ais de sapin est très-propre à cela. Elle trouble d'une idée d'étouffement. Celui qu'on a mis la dedans, s'il revient dans les songes, ce n'est plus une ombre lumineuse et légère, dans l'auréole élyséenne ; c'est un esclave torturé, misérable gibier d'un chat griffu d'enfer ( bestiis , dit le texte même, Ne tradas bestiis , etc.). Idée exécrable et impie, que mon père si bon, si aimable, que ma mère vénérée de tous soient jouet de ce chat !... Vous riez aujourd'hui. Pendant mille ans, on n'a pas ri. On a amèrement pleuré. Et, aujourd'hui encore, on ne peut écrire Ces blasphèmes sans que le cœur ne soit gonflé, que le papier ne grince, et la plume, d'indignation !
C'est aussi véritablement une cruelle invention d'avoir tiré la fête des Morts du printemps, où l'antiquité la plaçait, pour la mettre en novembre. En mai, où elle fut d'abord, on les enterrait dans les fleurs. En mars, où on la mit ensuite, elle était, avec le labour, l'éveil de l'alouette ; le mort et le grain, dans la terre, entraient ensemble avec le même espoir. Mais, hélas ! en novembre, quand tous les travaux sont finis, la saison close et sombre pour longtemps, quand on revient à la maison, quand l'homme se rassoit au foyer et voit en face la place à jamais vide... oh ! quel accroissement de deuil !... Évidemment, en prenant ce moment, déjà funèbre en lui, des obsèques de la nature, on craignait qu'en lui-même l'homme n'eût pas assez de douleur...
Les plus calmes, les plus occupés, quelque distraits qu'ils soient par les tiraillements de la vie, ont des moments étranges. Au noir matin brumeux, au soir qui vient si vile nous engloutir dans l'ombre, dix ans, vingt ans après, je ne sais quelles faibles voix vous montent au cœur : « Bonjour, ami ; c'est nous... Tu vis donc, tu travailles, comme toujours... Tant mieux ! Tu ne souffres pas trop de nous avoir perdus, et tu sais te passer de nous... Mais nous, non pas de toi, jamais... Les rangs se sont serrés et le vide ne paraît guère. La maison qui fut nôtre est pleine, et nous la bénissons. Tout est bien, tout est mieux qu'au temps où ton père te portait, au temps où ta fille te disait à son tour : « Mon papa, porte-moi... » Mais voilà que tu pleures... Assez, et au revoir. »
Hélas ! ils sont partis ! Douce et navrante plainte. Juste ? Non. Que je m'oublie mille fois plutôt
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