La Sorcière
mixte, vague, qui de plus en plus se rapprochera de l'enfer virgilien. Grand adoucissement pour le cœur ! Heureux allégement aux pauvres femmes surtout, que ce dogme terrible du supplice de leurs morts aimés tenait noyées de larmes, et sans consolation. Toute leur vie n'était qu'un soupir.
La sibylle rêvait aux mots du maître, quand un tout petit pas se fait entendre. Le jour paraît à peine (après Noël, vers le 1 er janvier). Sur l'herbe craquante et givrée, une blonde petite femme, tremblante, approche, et, arrivée, elle défaille, ne peut respirer. Sa robe noire dit assez qu'elle est veuve. Au perçant regard de Médée, immobile, et sans voix, elle dit tout pourtant ; nul mystère en sa craintive personne. L'autre d'une voix forte : « Tu n'as que faire de dire, petite muette. Car tu n'en viendrais pas à bout. Je le dirai pour toi... Eh bien, tu meurs d'amour ! » Remise un peu, joignant les mains et presque à ses genoux, elle avoue, se confesse. Elle souffrait, pleurait, priait, et elle eût souffert en silence. Mais ces fêtes d'hiver, ces réunions de familles, le bonheur peu caché des femmes qui, sans pitié étalent un légitime amour, lui ont remis au cœur le trait brûlant... Hélas ! que fera-t-elle ?... S'il pouvait revenir et la consoler un moment : « Au prix de la vie même... que je meure ! et le voie encore !
— Retourne à ta maison ; fermes en bien la porte. Ferme encore le volet au voisin curieux. Tu quitteras le deuil et mettras tes habits de noces, son couvert à la table, mais il ne viendra pas. — Tu diras la chanson qu'il fit pour toi, et qu'il a tant chantée, mais il ne viendra pas. — Tu tireras du coffre le dernier habit qu'il porta, le baiseras. — Et tu diras alors : « Tant pis pour toi, si lu viens ! » Et sans retard, buvant ce vin amer, mais de profond sommeil, tu coucheras la mariée. Alors, sans nul doute, il viendra. »
La petite ne serait pas femme si, le matin, heureuse et attendrie, bien bas, à sa meilleure amie, elle n'avouait le miracle. « N'en dis rien, je t'en prie... Mais il m'a dit lui-même que, si j'ai cette robe, et si je dors sans m'éveiller, tous les dimanches, il reviendra. »
Bonheur qui n'est pas sans péril. Que serait-ce de l'imprudente si l'Église savait qu'elle n'est plus veuve ? que, ressuscité par l'amour, l'esprit revient la consoler ?
Chose rare, le secret est gardé ! Toutes s'entendent, cachent un mystère si doux. Qui n'y a intérêt ? Qui n'a perdu ? qui n'a pleuré ? Qui ne voit avec bonheur se créer ce pont entre les deux mondes ?
« O bienfaisante sorcière !... Esprit d'en bas, soyez béni ! »
29. Le rayon luit dans l' Immortalité , la Foi nouvelle , du Dumesnil ; Ciel et Terre , de Reynaud, Henri Martin, etc
VIII
Le prince de la nature
Dur est l'hiver, long et triste dans le sombre nord-ouest. Fini même, il a des reprises, comme une douleur assoupie, qui revient, sévit par moments. Un matin, tout se réveille paré d'aiguilles brillantes. Dans cette splendeur ironique, cruelle, où la vie frissonne, tout le monde végétal paraît minéralisé, perd sa douce variété, se roidit en âpres cristaux.
La pauvre sibylle, engourdie à son morne foyer de feuilles, battue de la bise cuisante, sent au cœur la verge sévère. Elle sent son isolement. Mais cela même la relève. L'orgueil revient, et, avec lui une force qui lui chauffe le cœur, lui illumine l'esprit, tendue, vive et acérée ; sa vue devient aussi perçante que ces aiguilles, et le monde, ce monde cruel dont elle souffre, lui est transparent comme verre. Et, alors, elle jouit, comme d'une conquête à elle.
N'en est-elle pas la reine ? n'a-t-elle pas des courtisans ? Les corbeaux manifestement sont en rapport avec elle. En troupe honorable, grave, ils viennent, comme anciens augures, lui parler des choses du temps. Les loups passent timidement, saluent d'un regard oblique. L'ours (moins rare alors) parfois s'assoit gauchement, avec sa lourde bonhomie, au seuil de l'antre, comme un ermite qui fait visite à un ermite, ainsi qu'on le voit si souvent dans les Vies des Pères du désert.
Tous, oiseaux et animaux que l'homme ne connaît guère que par la chasse et la mort, ils sont des proscrits, comme elle. Ils s'entendent avec elle. Satan est le grand proscrit, et il donne aux siens la joie des libertés de la nature, la joie sauvage d'être un monde qui se suffit à lui-même.
Âpre liberté solitaire,
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