la tondue
I
Le train du retour
Dans le grand jour, maintenant, le train filait. La locomotive gémissait et Yvette se demandait si ce voyage finirait un jour…
Le ronronnement qui emplissait le wagon finissait par l’endormir et, entre deux vagues de sommeil, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle n’arriverait jamais dans ce pays perdu.
Depuis le départ de Paris, les paysages se succédaient infiniment monotones dans leur variété… La fatigue l’engourdissait, les arrêts la réveillaient et les champs défilaient en une mosaïque colorée que rompait, de temps en temps, un village étagé sur la voie ou un bouquet d’arbres rabougris luisant sous un soleil de plomb.
Des gens montaient, restaient un moment puis descendaient au hasard des multiples gares qui jalonnaient le parcours.
Les chefs de gare au drapeau rouge s’égosillaient sur les quais. Ils s’agitaient et demeuraient ensuite plantés droits comme des statues regardant passer le train.
Elle fourragea dans son sac, plutôt pour se donner une contenance que pour chercher quelque chose… Ses yeux, vaguement inquiets, se posèrent craintivement sur un grand diable à gabardine beige qui montait les marches d’un air faussement désinvolte.
Elle continua à fouiller, surveillant du coin de l’œil l’inconnu qui s’installait posément sans regarder personne.
Il haussa les pieds pour hisser une valise éculée dans le filet qui surplombait la banquette et elle sentit un frisson la parcourir : la cherchait-on encore ? Mais non, ce n’était pas possible, tout n’était-il pas oublié ?
Elle s’efforça de cacher le tremblement de ses mains et ferma les yeux, espérant en vain le sommeil.
Au bout d’un moment, elle se leva, partit vers le couloir et s’accouda à la vitre. Le paysage dévalait, les arbres se poursuivaient en sifflant dans le reflet des champs et des bois, elle observait l’homme qui, l’air indifférent, lisait un livre dont elle surprenait l’envol des pages au rythme de la locomotive.
Le jaune brillant d’un champ de genêts ramena devant son visage l’image d’une petite fille à la jupe trop longue et aux sabots usés qui courait d’une fleur à l’autre, humant leur lourd parfum… C’est si loin ! soupira-t-elle, presque à haute voix.
Elle se retourna, personne n’avait bougé !
« Mais qu’est-ce que je fais ici ? » pensa-t-elle, « en route avec des inconnus, vers un pays que je ne connais pas… Que je ne connais plus… serait plus exact !… Dix ans, dix ans que je ne suis plus allée là-bas !… »
Elle se rappela la voix cassée de sa grand-mère :
« Ne va pas à Paris. Yvette, c’est une ville de damnation. Tu deviendras une fille perdue !… »
Elle n’avait plus envie, aujourd’hui, d’égrener le rire clair qui, à l’époque, était monté à ses lèvres. « Une ville de damnation », ah, grand-mère, si tu avais su à quel point !… La grand-mère disait encore :
« Si, au moins, nous y connaissions quelqu’un !
— je ne suis pas la première à monter à Paris. »
Elle était donc « montée » à Paris !
Et aujourd’hui, elle revenait vers ce pays qui l’avait vu naître, qu’elle avait oublié !
La grand-mère n’y était plus, mais il restait toujours les parents… Comment allaient-ils l’accueillir ?…
Elle leur avait écrit, bien sûr, mais si rarement !…
Au premier de l’an, comme le voulait l’usage, et une ou deux autres fois, elle ne se rappelait plus en quelle circonstance…
C’était toujours le père qui répondait de sa belle écriture appliquée où l’on distinguait les pleins et les déliés. Elle avait l’impression, en recevant ces lettres, qu’elles étaient adressées à un personnage important… Après tout, elle était bien devenue quelqu’un à Paris, puisqu’elle avait plusieurs fois, partagé la table des maîtres de l’heure…
À ce souvenir, elle ne put s’empêcher de frémir et jeta un coup d’œil machinal à l’homme à la gabardine. Rien… Elle se faisait sans doute des idées, mais plus elle réfléchissait, plus cet individu lui paraissait louche. Elle avait toujours cru qu’un sixième sens l’avertissait du danger et, maintenant, la peur lui nouait le ventre.
Elle se dirigea vers les toilettes en remontant le foulard qui glissait de sa tête. De folles bouclettes courtes venaient crever sous le tissu de soie mais le reste de la chevelure, malgré une savante
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