La Traque des Bannis
au même instant, sentit une poigne de fer s’emparer de son col de chemise et le tirer en travers du comptoir.
Le visage de l’inconnu, qui n’avait plus du tout l’air d’un garçon, était presque collé au sien. Dans ses yeux marron foncé, presque noirs dans la pénombre, le tenancier détecta une sourde menace. Il entendit un sifflement métallique et, baissant le regard, aperçut la lame étincelante d’un lourd couteau.
À demi étranglé, le tavernier lança des coups d’œil affolés alentour, mais il n’y avait personne à proximité et aucun des clients attablés n’avait remarqué ce qui se passait.
— Ahh… tisane… marmonna-t-il.
La poigne du jeune inconnu se fit moins ferme.
— Que dis-tu ? demanda-t-il doucement.
— Je vais… vous faire… de la tisane, répéta le tenancier en reprenant son souffle.
Will sourit. C’était un sourire agréable, qui ne se communiquait cependant pas à ses yeux sombres.
— C’est parfait, répliqua le Rôdeur en lâchant le col du tavernier. J’attendrai ici. Mais ne t’avise pas de changer d’avis, ajouta-t-il en effleurant le pommeau de son grand couteau.
Il y avait près de l’âtre une grosse bouilloire posée sur un bras de métal que le tenancier fit pivoter au-dessus des flammes ; une fois l’eau bouillante, il la versa dans le pot rempli de diverses plantes aromatiques. Les effluves de l’infusion emplirent peu à peu la salle, évinçant un instant les odeurs déplaisantes que Will avait remarquées en entrant.
Le tenancier plaça le pot devant le Rôdeur, essuya une tasse avec son torchon et la lui tendit. Will fronça les sourcils, frotta la tasse avec un pan de sa cape et se servit.
— Du sucre ? Sinon, du miel.
— J’ai du sucre, répondit le tavernier qui s’éloigna pour aller le chercher.
Quand il revint, il sursauta à la vue d’un lourd écu d’or posé sur le comptoir, entre l’inconnu et lui. Il hésita à s’en emparer, car une telle somme représentait davantage que ce qu’il gagnait en une soirée. Du reste, le couteau était toujours placé près de la main du jeune homme.
— La tisane coûte seulement deux sous, précisa-t-il avec prudence.
Will acquiesça et porta la main à sa bourse, d’où il tira deux pièces de cuivre.
— Tu les mérites. Ta tisane est bonne, ajouta-t-il en donnant l’argent au tavernier.
Celui-ci hocha la tête et déglutit, toujours indécis. Il accepta les pièces tout en surveillant ce mystérieux garçon du coin de l’œil. L’espace d’un instant, il eut honte d’avoir été aussi facilement intimidé par quelqu’un d’aussi jeune, mais, regardant derechef ses armes, il chassa cette pensée. Après tout, il n’était qu’un simple tavernier. Le seul acte de violence qu’il était capable de commettre consistait à assommer d’un coup de gourdin quelque client trop ivre – et jamais il n’aurait affronté quiconque en face.
Il empocha l’argent, puis jeta un coup d’œil à l’écu d’or qui étincelait à la lueur des lanternes. Il toussota.
Will haussa un sourcil.
— Oui ? s’enquit ce dernier.
Le tenancier passa les mains dans son dos afin qu’il n’y ait aucune méprise sur ses intentions et hocha la tête à plusieurs reprises en direction de la pièce d’or.
— Cet écu… je voulais savoir… s’il était là pour…
Le Rôdeur sourit. Mais cette fois encore, ses yeux restèrent sombres.
— En effet, je suis en quête de renseignements.
L’appréhension qui nouait l’estomac du tenancier se relâcha aussitôt. Il comprenait ce qu’attendait de lui le jeune homme – ce genre de situation n’était pas rare à Port Cael, où les gens étaient souvent prêts à payer pour récolter des informations.
— Dans ce cas, vous êtes au bon endroit, Votre Honneur, et je suis l’homme qu’il vous faut, répondit le tavernier en s’autorisant un sourire. Que voulez-vous savoir, au juste ?
— Si O’Malley le Noir est ici ce soir, dit Will.
À ces mots, le tavernier sentit de nouveau son estomac se nouer.
— O’Malley ? Et pour quelle raison le cherchez-vous ? interrogea le tavernier.
L’inconnu, qui le transperçait de nouveau de ses yeux sombres, plaça la main sur l’écu sans pourtant le reprendre.
— Tiens donc, commença-t-il d’un ton posé, je me demandais d’où venait cette pièce d’or. Elle t’appartient sans doute ?
Avant que le tenancier puisse répliquer, Will poursuivit :
— Non. Si j’ai bonne
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