La Traque des Bannis
faire glisser un écu d’or d’un doigt à l’autre – tour qui lui avait demandé des heures d’entraînement quand il lui fallait tuer le temps autour d’innombrables feux de camp. Le métal scintillant avait attiré l’attention de l’aubergiste.
— Où ça ? avait insisté Will.
L’homme, posant de nouveau les yeux sur lui, avait indiqué la direction du port d’un mouvement de tête.
— Ils ont pris la mer. Mais je ne sais rien de leur destination.
— Connais-tu quelqu’un qui pourrait m’en dire plus ?
— Pour ce genre de renseignement, vous devriez voir O’Malley le Noir, avait répliqué l’aubergiste en haussant les épaules. Il se peut qu’il soit au courant. Les gens font souvent appel à lui quand ils sont pressés de filer.
— O’Malley le Noir ? Quel surnom étrange. D’où lui vient-il ?
— Il y a quelques années, son navire a été pris à l’abordage par des… pirates, expliqua l’aubergiste non sans hésitation. L’un d’eux l’a frappé au visage avec une torche enflammée. La poix lui a brûlé la joue gauche, y laissant une marque noire.
Will avait acquiescé d’un air pensif, prêt à parier que les pirates – si du moins ils avaient existé – s’étaient plutôt trouvés dans le camp de cet O’Malley. Mais cela n’avait guère d’importance.
— Où puis-je le rencontrer ?
— Il passe la plupart de ses soirées au Héron, une taverne du port.
L’aubergiste avait empoché l’écu et, tandis que Will s’éloignait, il avait ajouté :
— L’endroit est mal famé et vous n’êtes pas d’ici. Vous feriez mieux ne pas vous y rendre seul. Je connais deux gars qui travaillent pour moi de temps à autre. Ils accepteront peut-être de vous accompagner en échange d’un pourboire.
Le jeune homme s’était retourné et avait paru réfléchir à cette proposition avant de secouer la tête en souriant.
— Je crois que je me débrouillerai seul, avait-il répondu.
Ce n’était pas par arrogance que Will avait décliné l’offre de l’aubergiste. En réalité, entrer dans un endroit tel que le Héron en compagnie de deux brutes, probablement sans grande expérience, aurait provoqué le mépris des vrais durs à cuire qui fréquentaient l’établissement. Cela aurait pu donner l’impression que le Rôdeur manquait d’assurance. Mieux valait donc que Will y aille seul, même s’il ne pourrait compter que sur sa propre dextérité et son instinct pour affronter la situation.
La taverne, qui plus tôt dans la soirée avait été à moitié vide, commençait à se remplir. Il y faisait plus chaud et un nombre grandissant d’individus crasseux se pressaient dans la salle enfumée ; l’odeur aigre et l’air vicié s’intensifiaient également, tout comme le bruit, tandis que les clients haussaient le ton pour se faire entendre dans le brouhaha ambiant.
Tout cela n’était pas pour déplaire au Rôdeur. Plus la taverne serait bondée et bruyante, moins il risquait de se faire remarquer. Dès que quelqu’un entrait, Will jetait un coup d’œil au tenancier, jusqu’alors sans résultat.
Ce fut entre onze heures et minuit que la porte s’ouvrit violemment : trois individus costauds pénétrèrent dans l’établissement et jouèrent des coudes pour atteindre le comptoir. Sans qu’un mot soit échangé,le tavernier leur servit immédiatement trois chopes de cervoise. Après avoir placé la deuxième sur le comptoir, il s’interrompit et, les yeux baissés, tira sur son oreille trois fois de suite, puis reprit sa tâche.
Même sans ce signal, Will aurait repéré celui qu’il cherchait. La marque de brûlure, qui partait de l’œil gauche et s’étirait jusqu’à sa mâchoire, était bien visible, même depuis l’autre bout de la salle. O’Malley et ses acolytes, leur chope à la main, allèrent vers une table proche du feu de tourbe. Deux hommes, déjà attablés, avisèrent le contrebandier avec inquiétude.
— Dis donc, O’Malley, commença l’un d’eux sur un ton geignard, on est assis là depuis…
— Fichez le camp, ordonna O’Malley.
Sans plus protester, les deux clients prirent leurs verres, se levèrent et s’éloignèrent. Une fois installés, les trois contrebandiers parcoururent l’endroit du regard en saluant quelques connaissances. L’accueil réservé aux nouveaux venus était plus prudent qu’amical, détail qui n’échappa pas à Will. O’Malley inspirait de la peur aux habitués.
Les yeux
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