La vengeance d'isabeau
Prologue
« Vollore, ce 16 mai 1521.
Etrange journée en vérité que celle-ci en ce printemps radieux, bourdonnant et bourgeonnant. J’ai rarement vu sur ces terres ciel plus clair et dégagé, senteurs plus fortes aux narines.
Je pars. Peut-être est-ce ce qui aiguise ainsi mes sens, mais je ne le crois pas. Journée de baume sur six années de ma vie. Un nénuphar sur une eau qui n’en finissait plus de croupir.
François de Chazeron m’a chassée. Je l’espérais, je crois, depuis toujours, pour que cesse le calvaire de ces illusions mortes, pour que s’efface la douleur de ces enfants perdus, pour enfin éloigner de moi la malédiction qui hante cette demeure. À jamais.
Etrange comme les souvenirs reviennent. Il m’a concédé d’emmener Antoinette-Marie avec moi. Je ne la lui aurais pas laissée quoi qu’il advienne. Cette enfant l’indiffère. Je me suis souvent demandé si même il ne la haïssait pas. Des trois qui naquirent, elle est la seule à avoir survécu. Deux l’ont suivie, sans amour, instants bestiaux de procréation. Ils sont défunts peu après leur naissance. Je ne crois plus au hasard. Cette terre ne doit pas avoir d’héritier, simplement, pour une raison qui continue de m’échapper.
Mon époux se remariera certainement. J’ignore s’il a en vue quelque damoiselle, mais je sais déjà que son rêve sera sans effet. Pas davantage que moi elle ne lui donnera de fils. La volonté de Dieu ou celle du diable est griffonnée sur les pages de l’histoire de ce pays. Ainsi en sera-t-il. Cela n’a aucun sens. J’ai du moins renoncé à en trouver un. Il y a tant de choses que Chazeron doit se faire pardonner. Tant d’abominations envers ses manants, envers ses gens, envers moi. Rien jamais ne reste impuni.
À moi, il reste Antoinette-Marie. Ma fille. Ma chair. Elle était si menue et si chétive à sa venue au monde. Si faible que sa tête avait à peine la grosseur de mon poing. De sorte que je n’ai pu regagner Vollore que fin septembre, alors qu’elle avait deux mois, les travaux de rénovation achevés. Je tremblai durant ce temps. François avait refusé qu’elle soit baptisée avant que tout soit prêt pour recevoir ses invités. De fait, ce fut une belle fête, comme seul notre mariage en avait vu. Des ménestrels étaient accourus, des saltimbanques avec leurs singes savants et ces ours qui, dressés sur leurs pattes arrière, grognaient dans leurs muselières.
J’ignore où mon époux prit l’argent pour offrir à ses convives autant de magnificence. Le château était tout entier décoré et illuminé. Il avait fait venir des soieries et des brocarts, habillé de neuf toute la maisonnée. À mes questions, il resta sourd. La vérité est qu’il espérait le roi dans sa demeure. Mais le roi de France n’a que faire de ses petits vassaux, fussent-ils apparentés par alliance aux Bourbons. Il ne vint pas. Mon époux entra une fois encore dans une de ses colères, sitôt les festivités achevées. Malgré le médaillon gravé à ses initiales qu’il lui offrit ce jour-là, il n’avait pas déployé cette magnificence pour sa fille, mais pour son prestige. Bien sûr, on parlerait de lui loin et longtemps, mais le roi avait boudé son invitation. Il serait la risée. Au mieux, pour ceux qui ignoraient l’humiliation, garderait-on le souvenir d’une belle réception d’un riche seigneur.
Sitôt les dernières courbettes achevées, il arracha les tentures, enflamma les drapés, faillit mettre sa maison à feu et à sang. Sans l’intervention de Huc, il aurait sans doute fracassé épouse et enfant. Ensuite, comme chaque fois, il alla s’enfermer dans sa tour, des jours durant. Etrange homme.
Lorsqu’il réapparut, il nous signifia que nul, lui vivant, ne remettrait les pieds à Montguerlhe. Il y laissa une garnison de douze hommes seulement assortis d’une chambrière, d’une lavandière et d’un cuisinier pour en assurer l’intendance. Huc fut prié de les rejoindre en sa qualité de prévôt et son épouse entra à mon service ici. J’ignore pourquoi il voulut les séparer. Le contraire m’eût convenu davantage. Je crois qu’il tenta ainsi de punir Huc d’avoir retenu son bras au plus fort de sa colère. Mais j’aurais mauvaise grâce à m’en plaindre puisque Antoinette-Marie y trouva son content.
J’étais si faible moi-même durant mes relevailles qu’Albérie s’occupa davantage d’Antoinette-Marie que moi. Elle la changeait, la
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