La véritable histoire d'Ernesto Guevara
d’Amérique latine sans rien demander à personne, sans rien exiger et sans exploiter personne… » Voilà qui rendait également risible la formule récurrente qu’il utilisait selon laquelle « les révolutions ne s’exportent pas, mais surgissent des conditions d’exploitation que les gouvernements latino-américains exercent contre les peuples ».
Il partit ensuite dans divers pays d’Afrique, persuadé en effet que ce continent était « mûr » pour un grand embrasement révolutionnaire. Il s’était surtout rendu compte des multiples échecs subis par les guérillas téléguidées de La Havane en Amérique latine. Merveille de la théorie : après l’échec de la tentative congolaise en 1965, on en reviendra à l’idée que l’Amérique latine était le cadre ad hoc pour le lancement d’une guérilla.
Le 17 décembre, il sera à Alger, le 26 au Mali, le 2 janvier 1965 au Congo-Brazzaville, le 8 en Guinée, le 16 au Ghana, le 22 au Burkina Faso puis encore à Accra et à Alger. Après deux jours incognito à Paris fin janvier, Guevara commit un acte d’indiscipline exceptionnel chez lui. Alors que s’amplifiait la polémique sino-soviétique, il rencontra les dirigeants chinois à Pékin le 3 février au moment où la presse cubaine, conformément au programme prévu, l’annonçait déjà au Pakistan ! Il n’avait pas prévenu La Havane qu’il voulait voir Mao, mais ne pouvait non plus cacher sa visite. Il rencontra Deng Xiaoping et la direction du PC chinois – Mao excepté – le 3 février mais ne leur dit finalement rien d’important, alors que la Chine était la seule force qui lui aurait permis d’approfondir sa critique de l’URSS et qui aurait pu lui donner du poids face à Fidel Castro.
Cette rencontre avec les ennemis des Soviétiques fut sans doute la goutte d’eau qui fit déborder le vase pour Castro. On évoque Alger bien souvent comme point de basculement ou de rupture, avec le fameux discours qu’il prononça au séminaire de solidarité afro-asiatique où il suggérait une complicité des Soviétiques et des impérialistes. Mais c’est la visite à Pékin qu’il faut mettre aussi en avant.
De Chine, il se rendit à nouveau en Algérie et les étapes se multipliaient dans un ordre incompréhensible pour les observateurs, qui avaient du mal à suivre Guevara et à comprendre le but de son périple.
Du 8 au 10 février, il était à nouveau à Paris. Suivirent Dar es-Salaam, Le Caire et encore Alger le 24 février. C’est là qu’il participa, trois jours plus tard, à ce séminaire devenu emblématique des difficiles relations entre Guevara et les dirigeants moscovites.
Le discours d’Alger
Ce discours, parfois considéré comme son testament et, encore une fois, la manifestation la plus claire de son opposition au socialisme de type soviétique tel qu’il était devenu dans ces années 1960, est plus classique qu’on ne le dit, et très marqué par la vulgate gauchiste des années soixante : la misère du tiers-monde est le résultat direct de l’exploitation impérialiste, et « le niveau de vie de ces pays repose sur la misère des nôtres ». C’est aussi un texte très « pro-Chinois » où Guevara s’interroge, comme le faisaient à l’époque Mao et Lin Biao, sur l’aristocratie ouvrière des pays occidentaux qui perd sa conscience internationaliste « sous l’influence d’une certaine complicité dans l’exploitation des pays dépendants » et dont la combativité se trouve, de ce fait, affaiblie.
Guevara mit clairement en cause l’attitude des Soviétiques : selon lui, le coût des luttes de libération nationale, notamment les armes utilisées, devait être assumé par les pays socialistes ; les relations commerciales que ces derniers entretenaient avec les pays du tiers-monde, comme on disait alors, n’étaient pas justes parce que basées sur le prix du marché. Tournant le dos à une telle pratique, « les pays socialistes avaient le devoir moral de liquider leur complicité tacite avec les pays exploiteurs de l’Ouest ».
Certes, on ne trouve pas de longs développements contre l’URSS. Le discours appelle seulement le camp socialiste à redresser la barre – Guevara n’a jamais ouvertement souhaité rompre avec la patrie du socialisme – et la stratégie qui consistait à couper les pays du tiers-monde du monde capitaliste pouvait même plaire à Moscou. L’idée que le socialisme demandait une
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