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La Violente Amour

La Violente Amour

Titel: La Violente Amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Monsieur de Rosny, voudriez-vous voir votre roi
escouillé ?
    — Nenni,
dit Rosny gravement, mais je crains le débours. Nos finances sont bien petites.
    Tout mon Rosny
était là déjà, à ce que je me suis souvent apensé depuis : Homme fait d’un
excellent alliage de plusieurs métaux différents : Prudent et fort ménager
des deniers de l’État, alors même qu’il aimait pour lui-même le luxe et l’ostentation ;
montrant tout ensemble dans les occasions la sagacité d’un vieillard et la
fougue d’un jeune homme ; soldat intrépide et patient diplomate. Et qu’il
eût besoin pour lors de sa plus longue patience, c’est bien ce qu’il apparut
tout au long de ces longues tractations entre mon maître et le sien pour ce que
de décembre, elles durèrent jusqu’au mois d’avril. Et combien que je n’aie pas
appétit à y entrer par le menu, puisque aussi bien on en connaît l’heureuse
issue, j’aimerais, lecteur, t’en montrer du moins les inoubliables pointes,
telles qu’elles émergent, à ce jour toujours vives, en ma remembrance.
    Ni la trêve ni
la paix n’avaient été encore proclamées entre les deux rois, et Navarre
apprenant que l’armée royaliste était occupée à repousser les ligueux qui menaçaient
Henri à Blois, en avait tiré profit pour occuper le Poitou et assiéger
Châtellerault. Or, par une bien curieuse et ironique coïncidence, Rosny et
moi-même advînmes à son camp lui porter les paroles de paix de son suzerain, le
jour même où il prit la ville au roi de France, dont il était tout ensemble
l’héritier et le vassal.
    Pour moi qui
n’avais vu Navarre depuis l’ambassade d’Épernon en Guyenne, il ne me parut pas
fort changé, sauf que sa barbe et ses cheveux, comme il disait en moquant,
avaient grisé. C’était toujours dans une longue face le même nez long et
courbe, un menton qui attentait de rejoindre le nez, le cuir du visage couleur
caramel, tant le soleil et le vent l’avaient cuit, le front ample, l’œil vif,
la lèvre gaussante, le geste prompt de l’homme rompu au combat et à toutes les
athlétiques exercitations. Il n’était point fort grand, et ses jambes
paraissaient trop brèves pour son tronc, mais elles le portaient
indéfatigablement pour la marche, la danse, la paume et tous les jeux, et à la
bataille, le vissaient douze heures d’affilée sur un cheval, crevant, et le
cheval, et les gentilshommes de sa suite. Après quoi, au débotté, il dansait
comme fol, courrait le lièvre, ou paillardait avec quelqu’une sur le revers
d’un talus, mangeant d’un croûton frotté d’ail, buvant à la régalade, dormant
peu et les manières tant grossières que son esprit l’était peu. Car à mon
sentiment, pour la subtilesse politique, il en eût remontré même à mon maître.
    Quand Rosny et
moi nous fûmes admis en sa présence, il était à sa repue sous sa tente, n’étant
pas entré encore en Châtellerault dont ses officiers négociaient alors la
reddition avec les royalistes. Et encore qu’il y eût une escabelle devant sa
table, il ne s’y asseyait point, mais mâchellait debout (comme les chevaux dont
il avait la longue face) portant les chairs au bec avec ses doigts, l’usance de
la fourchette – si chère à mon bien-aimé maître – lui étant tout à
plein déconnue. Et à dire le vrai, il buvait à si franches lippées et mangeait
à si grosses goulées que se pouvaient reconnaître sur sa barbe et son pourpoint
les vins et les viandes qu’il avait consommés.
    Non que ce fût
grande pitié pour le pourpoint, lequel était grisâtre, passé et fort usé aux
épaules et aux coudes, usure que Navarre devait à la cuirasse, l’ayant tant
portée toutes ces années écoulées. Et de reste, que ce fût là à la guerre son
unique pourpoint, je n’en jurerais pas, l’ayant vu le lendemain jouer à la
paume avec une chemise déchirée, tant Henri était insoucieux de sa vêture, du
moins en ses campagnes.
    — Ha !
Sire ! dit Rosny (qui dans les dents de son économie huguenote, inclinait
à la magnificence et pour lui-même, et pour son roi), comme vous voilà
fait ! Votre pourpoint montre la trame !
    — Le
Béarnais est pauvre, dit Navarre, la bouche pleine et l’accent rocailleux, mais
il est de bonne maison…
    Quoi dit, et
jetant un œil gaussant à Rosny, incapable qu’il était de demeurer en la place,
il allait et venait qui-cy qui-là en la tente, dévorant à belles et grosses
dents un chapon,

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