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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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mais cet
enfant qui n’avait pas neuf ans.
     
    *
    * *
     
    Du moins en sa première moitié, ce vendredi quatorze mai fut
dans ma vie un jour fort semblable aux autres. Monsieur Philipponeau, l’ancien
jésuite aux yeux ardents, me demanda d’improviser, non sans qu’il m’aidât
quelque peu, une traduction latine d’un sonnet de Malherbe. Après quoi il me
questionna, toujours en latin, sur la conquête des Gaules. Et il termina ces
deux heures de leçon par un exposé sur l’ Apologie de Raymond de Sebonde,
pour laquelle je le soupçonnais de nourrir quelque tendresse en raison du
scepticisme dont elle est empreinte.
    Avec une exactitude militaire, l’ex-artificier Martial
surgit comme l’ex-jésuite s’en allait, et me donna une leçon de mathématiques,
où je trouvai les certitudes qui manquaient à l’ Apologie, mais qui, par
malheur, m’étaient peu utiles pour résoudre les problèmes philosophiques
soulevés par Raymond de Sebonde.
    En dernier, Mademoiselle de Saint-Hubert parut. Elle avait
alors trente et un ans, charmante, vive, sensible, mais par malheur vouée au
célibat comme j’ai dit déjà par la conjonction de sa noblesse et de sa
pauvreté. Comme si la nature, constatant leur désemploi, eût décidé d’en faire
l’économie, elle avait perdu une partie de ses féminins contours et avec eux,
les regards masculins qui s’égaraient si volontiers sur eux, ceux de mon père,
de La Surie, de mon jésuite, de Franz et de moi-même. Toutefois, ses yeux, ses
lèvres, ses longs cheveux, sa taille flexible, la grâce de ses gestes, sa voix
basse et musicale, lui donnaient encore des charmes, mais qui évoquaient la
lassitude d’une fleur qui s’étiole dans un vase. Elle me bailla une leçon dans
la langue de Dante avec sa conscience coutumière, ne me faisant grâce d’aucune
des traîtrises des verbes italiens, qui valent bien celles des nôtres.
J’observai que lorsque ma main touchait par aventure la sienne, elle la
retirait avec une vivacité quasi offensante, comme si après avoir tant attendu
d’être aimée par l’autre sexe, elle ne supportait plus son contact.
    L’injustice de son sort m’attristait d’autant plus que je
n’y pouvais porter remède, tout geste un peu chaleureux de ma part lui étant
devenu suspect : on eût dit qu’elle en ressentait de l’aigreur et qu’elle
se sentait rejetée par tous, et par tout, y compris par les attentions que
j’avais pour elle.
    Après son partement, le maître en faits d’armes Sabatini,
petit homme sec et pète-feu en diable, me mit de la tête aux pieds en sueur par
un de ces assauts à l’épée dont il sortait, quant à lui, frais comme un gardon.
Mais si ce violent exercice m’amusa et m’agita le corps, le pensement de
Mademoiselle de Saint-Hubert me laissa comme un arrière-goût de chagrin quand
je me mis à table avec mon père et La Surie.
    Leur entretien fut loin de le dissiper : mon père
revenait du Louvre où il avait appris quelques détails sur le dernier entretien
du Roi avec le nonce Ubaldini. Henri ne s’en était jamais laissé conter par
personne, et encore moins par l’habileté du pape Paul V qui, tout en se
présentant dans l’affaire de Clèves en arbitre et en médiateur, prenait, en
réalité, fait et cause pour les Habsbourg. La nouveauté, c’était que, cette
fois, le Roi le dit haut, net et sec au nonce : « Le Pape voudrait
tout obtenir de moi et rien des Espagnols – Sire, dit Ubaldini, se
réfugiant dans le flou des principes, la paix de la chrétienté est entre vos
mains. – Si vous voulez la paix, faites que les Espagnols me donnent
quelques signes de bonne volonté. – Sire, laissez le temps à Sa Sainteté
de l’obtenir. – J’ai assez attendu ! Je suis résolu d’aller à l’armée
le quinze mai. »
    — Derrière ces paroles du Roi, dit mon père, il y a la
mort de centaines de milliers de gens.
    — Et peut-être aussi la sienne, dit La Surie.
    — Le Roi, dis-je, escompte-t-il vraiment partir aux
armées demain ?
    — En fait, non. Depuis cet entretien avec Ubaldini, il
a modifié son emploi du temps. Ce jour d’hui vendredi quatorze, il compte
mettre en ordre ses affaires. Samedi, il courra un cerf. Dimanche, il assistera
à l’entrée triomphale de la Reine en Paris.
    — Mais, elle y est déjà ! dit La Surie, avec un
petit brillement de son œil marron, son œil bleu restant froid. Va-t-elle en
ressortir pour y rentrer ?
    — Vous vous

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