La Volte Des Vertugadins
violence de ses prêches.
Toutefois, Monsieur de La Force ne broncha pas.
— Où demeurez-vous à Paris ?
— Je demeure en Angoulême.
Quelle que fût son impassibilité, Monsieur de La Force
trahit ici un peu d’émotion. Angoulême, ville archiligueuse, était au Duc
d’Épernon et il ne s’y passait rien qu’il ne sût.
— Connaissez-vous le Duc d’Épernon ?
— Oui.
Et il ajouta :
— C’est un catholique à gros grain.
Ce commentaire et l’air révérenciel avec lequel Ravaillac
l’articula finirent d’édifier Monsieur de La Force sur le genre d’acharné
papiste auquel il avait affaire.
— Que voulez-vous dire au Roi ?
— Je ne peux le dire qu’à lui.
Monsieur de La Force se tut un instant, l’œil fixé sur le
quidam et reprit, sur le même ton de politesse scrupuleuse :
— Avant de vous mener à Sa Majesté, je dois vous faire
fouiller.
— Je m’y attendais, dit Ravaillac.
Sur un signe de Castelnau, Dalbavie s’approcha du rouquin
et, des deux mains, tâta successivement sa poitrine, son dos, ses bras, ses
hanches et ses cuisses, puis se tournant vers Monsieur de La Force, il
dit :
— Il est sans arme, Monsieur le capitaine, pas même un
couteau.
Ce qui amena au centre du visage hirsute de Ravaillac une
sorte de remous qui eût pu passer pour un sourire, s’il avait en quoi que ce
soit modifié la fixité de son regard.
— Je vais trouver Sa Majesté, dit Monsieur de La Force.
En m’attendant, gardez l’œil sur lui.
Ce qui se dit entre lui et le Roi, je ne le sus que plus
tard et par ce que Monsieur de La Force en dit à mon père.
— Fouillez-le encore une fois, dit le Roi, et si vous
ne trouvez rien sur lui, chassez-le ! Et défendez-lui, sous peine
d’étrivières, d’approcher du Louvre et de ma personne.
— C’est un fanatique et un furieux, dit La Force. Il
connaît d’Épernon. C’est gibier de jésuite et d’archiligueux ! Et, vu sa
force, je le crois très dangereux ! M’est avis de le serrer en geôle.
— Faites ce que je dis, dit le Roi.
Quand Monsieur de La Force revint nous rejoindre devant le
guichet, je lui trouvai la crête assez rabattue.
— Fouillez-le, dit-il plutôt sèchement à Dalbavie.
— Mais, Monsieur le capitaine, je l’ai déjà
fouillé ! dit Dalbavie qui laissa paraître une certaine pique d’être ainsi
repris devant ses hommes.
— Fouillez-le de nouveau, dit Monsieur de La Force en
sourcillant.
Dalbavie s’approcha de Ravaillac et obéit d’un air assez
malengroin. De nouveau, il tâta la poitrine, le dos, les bras, les hanches et
les cuisses du quidam, mais par routine et comme négligemment, comme s’il était
convaincu par avance que cette deuxième fouille était inutile.
— Il n’a rien sur lui, dit-il.
— C’est bien, laissez-le partir, dit La Force avec
mauvaise humeur. Et s’il revient rôder autour du guichet, donnez-lui les
étrivières.
Cette fouille fut mal conduite : on ne le sut que plus
tard. Si les mains de Dalbavie étaient descendues plus bas que les genoux,
elles auraient trouvé, le long du mollet gauche, et la jarretière en
dissimulant le manche, le couteau de Ravaillac.
*
* *
Nous eûmes Bassompierre à dîner le douze mai, la veille du
sacre de la Reine, lequel devait être célébré selon la tradition en l’abbaye de
Saint-Denis : ce qui fit dire à La Surie, avec un sourire d’un seul côté
de la lèvre, que Marie serait, en conséquence, plus « royale que le
roi », vu qu’Henri, pour son couronnement, qui eut lieu en pleine guerre
civile, avait dû se contenter de Chartres, Saint-Denis étant alors aux mains
des ligueux.
Bassompierre avait beaucoup de choses à dire sur ce sacre
tant débattu, car l’amitié dont l’honoraient à la fois le Roi et la Reine le
mettait en situation, sinon d’assister toujours aux confrontations conjugales à
ce sujet, à tout le moins d’en ouïr les échos de l’une ou l’autre bouche. Mais
il ne commença à nous les confier que lorsque mon père m’eut autorisé à lui
rapporter la conversation en italien que j’avais surprise entre la Reine et
Concini lors de la course de bague à Fontainebleau.
— Oh ! Il n’y a aucun doute là-dessus ! dit
Bassompierre en se passant le doigt sur la moustache. C’est bien Concini qui
lui a fourré cette idée du sacre en cervelle ! Et c’est la Galigaï qui l’y
a ancrée ! Coiffant quotidiennement la Reine et prenant tant soin de
Weitere Kostenlose Bücher