La Volte Des Vertugadins
son
crâne, elle prend soin aussi du contenu. Mais, à mon sentiment, la Reine a dû
prendre aussi conseil et avis de ces ministres que vous dites du parti
espagnol, Marquis, et que je dis plus prudemment du parti de la paix.
— Ce qui, ajouta mon père, ne vous empêchera nullement,
si le Roi déclare la guerre, d’accepter un commandement dans son armée.
— C’est l’évidence. Ne suis-je pas le paroissier de qui
est le curé ?
— Et comment ont opiné Villeroi et Sillery ? dit
La Surie.
— Favorablement tous deux. Et pour de fort bonnes
raisons – tirées de l’Histoire, du Droit et de la Tradition –
desquelles ils ont méthodiquement nourri les oreilles de la Reine.
— Et elle les a retenues ? dit La Surie.
— La Reine, dit Bassompierre, a beaucoup de mémoire,
quand il s’agit de ses intérêts. Et ainsi lestée et fortifiée d’arguments de
poids, elle attaqua Sa Majesté.
— J’augure, dit mon père, que cette attaque donna lieu
à une scène frénétique.
— Nenni. Il y eut plusieurs scènes assez vives
échelonnées sur plusieurs mois.
— Que disait le Roi ?
— Sacrer la Reine, c’était consacrer à la cérémonie des
sommes énormes, au moment où il avait besoin d’argent pour former et nourrir
ses armées. « Monsieur, disait alors la Reine, nos enfants sont encore
bien petits. Ne vaut-il pas mieux vivre en paix en attendant qu’ils soient plus
âgés ? – M’amie, répondait le Roi, la guerre est résolue », et
lui tournait le dos.
— Double non, dit La Surie : non pour la paix et
non pour le couronnement.
— Cependant, dit Bassompierre, le Roi se rendait bien
compte que l’argument des pécunes était faible. Lui-même venait de dépenser
beaucoup d’argent pour le mariage du Duc de Vendôme.
— Dans un débat conjugal, dit mon père, les fausses
raisons cachent souvent les vraies. Et sur celles du Roi, j’ai ma petite idée.
Sachant la Reine inapte à gouverner, ayant peu de jugement et se laissant mener
par le bout du cheveu par la Galigaï, il se soucie peu d’augmenter son prestige
et son autorité. Ressouvenez-vous qu’il ne l’a nommée Régente que dans la
perspective de son propre départ aux armées et même alors, au Conseil de
régence qui devait tout décider en son absence, il ne lui a donné qu’une voix.
— Il n’empêche, dit Bassompierre, que lors de
l’escarmouche suivante, la Reine, chapitrée par Villeroi et Sillery, avança un
argument fort valable : la coutume voulait qu’en France, une princesse qui
mariait un roi régnant et déjà couronné fût sacrée à son tour. Ainsi fut-il
fait pour Élisabeth d’Autriche quand elle épousa Charles IX.
— Et ce précédent ébranla le Roi ? dit La Surie.
— Pas le moindre. Il ne voyait pas pourquoi un Bourbon
devrait imiter un Valois.
— J’attends, dit mon père, l’escarmouche décisive :
celle qui lui fit rendre les armes.
— La voici : « Monsieur, lui dit un jour la
Reine, au cas où il vous arriverait malheur à la guerre, que deviendrait le
Dauphin ? Je ne le pourrais protéger, n’étant qu’une régente sans pouvoir
et une reine sans couronne. » Cet argument bouleversa le Roi. Et il finit
par comprendre que la demande du sacre ne lui était faite que dans la
perspective de sa mort… Car c’est à ce moment-là que le problème de sa
succession se posant, le sacre de la Reine pourrait être utile. Il conférait à
la Reine ce surcroît de légitimité qui lui permettrait d’être confortée dans sa
régence et d’assurer les droits dynastiques du Dauphin. Je sais bien,
poursuivit Bassompierre, que certains à la cour vont déjà racontant que le Roi
accepta le sacre par lassitude et parce que le harcèlement de la Reine avait
usé sa volonté, mais ce sont là sornettes et billevesées ! Le Roi accepta
le sacre pour le Dauphin et dans la perspective de sa propre mort. Et c’est en
cela qu’il montra, je pense, une véritable grandeur d’âme.
Toutefois, en prononçant ces derniers mots, Bassompierre se
prit à sourire.
— Comte, dit mon père, vous souriez. N’êtes-vous pas
d’accord avec ce que vous venez de dire ?
— Assurément, je le suis. Si je souris, c’est que je
viens de me faire cette réflexion que la grandeur d’âme chez un homme peut être
mêlée de sentiments moins nobles, comme par exemple le cynisme ou une naïveté
presque comique.
— Éclairez-moi, de grâce, dit mon père.
— Eh
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