La Volte Des Vertugadins
bien, ayant dit à la Reine qu’il acceptait le
sacre, le jour suivant, le Roi me tira à part et me dit :
« Bassompierre, tu sais combien les Archiducs des Pays-Bas sont férus
d’étiquette. Je voudrais que tu ailles dire à ma femme de leur écrire une
lettre pour exiger la présence de la Princesse de Condé à son sacre… »
— Ma fé, la délicatesse est rare ! dit mon père.
J’en rirais, s’il ne s’agissait pas du Roi. Et vous acceptâtes cette
mission ?
— L’eussé-je refusée qu’il m’en aurait haï ! Mais
laissez-moi vous dire, Marquis, que parvenu chez la Reine, je tournai sept fois
ma langue dans ma bouche avant de lui transmettre cette effarante demande. Jour
de Dieu ! Si elle avait eu dix yeux, elle n’eût pas eu assez de ces dix
yeux pour me foudroyer. « Comte ! dit-elle, pour qui me prenez-vous ?
Et pour qui le Roi me prend-il ? Pour une rouffiana [66] ? »
Quand Bassompierre fut parti, et tout ce que je venais
d’entendre me tracassant fort, je dis :
— Je ne comprends pas pourquoi Henri montra une
véritable grandeur d’âme en acceptant le sacre de la Reine pour assurer les
droits dynastiques de son fils. N’était-ce pas naturel qu’il agît ainsi ?
— Ce serait naturel, si la Reine n’était pas (non sans
raisons assurément) pleine de fiel et de rancœur à son égard, et qui pis est le
chef du parti espagnol, qu’elle renseigne par le nonce Ubaldini, à qui elle
fait dire tout ce qu’elle sait et elle sait beaucoup, le Roi ne se gardant pas
assez. Or, vous devez savoir, mon fils, que le fort parti qui en France
souhaite ou complote la mort du Roi ne veut pas pour autant plonger la France
dans une guerre civile. Le sacre de la Reine, en assurant la succession du Roi,
supprime cette crainte. Dès lors, la voie est libre et les risques que court le
Roi d’être assassiné sont multipliés d’autant.
— Le Roi en est-il conscient ?
— Tout à plein. Je l’ai ouï dire à Sully en ma
présence : « Maudit sacre ! Tu seras cause de ma
mort ! »
J’assistai à Saint-Denis le treize mai avec mon père et La
Surie à ce sacre qui fut aussi splendide qu’il devait l’être, et qui aurait dû
être joyeux, s’il n’avait pas été accompagné, dans l’esprit du Roi et de ses
proches, d’appréhensions sinistres.
Henri avait réglé par le menu tous les détails de la
cérémonie. Et sachant cela, deux choses, entre toutes, me frappèrent. Le Roi se
voulut sinon absent, du moins distant du sacre de sa femme. Il eût pu placer
son trône dans le chœur. Il se contenta d’assister à la cérémonie de loin et de
haut, en spectateur, dans une loge vitrée.
Le cardinal de Joyeuse, selon l’usage, devait poser la
couronne royale sur le chef de la Reine. Mais, de par la volonté du Roi, il
reçut dans cette tâche deux aides inattendus : placés des deux côtés de
Marie, le dauphin Louis et Madame, sœur de Louis, soutinrent la couronne avant
qu’elle touchât le front de leur mère. Les dames trouvèrent charmante cette
innovation, mais d’aucuns, au nombre desquels compta mon père, estimèrent
qu’elle voulait dire que Marie de Médicis n’était reine couronnée que par la
grâce des enfants qu’Henri lui avait faits.
Ce qui conforta mon père dans cette idée, ce furent deux
incidents, l’un empreint de légèreté, l’autre de sérieux, qui se passèrent sous
ses yeux après la cérémonie. Dès qu’elle fut achevée, le Roi, sans attendre la
sortie du cortège, descendit de la loge vitrée où il se tenait et gagna une
chambre dont la fenêtre surplombait la chapelle, et jeta à la Reine, comme elle
en sortait, quelques gouttes d’eau. Cette petite gausserie troubla les
assistants pour la raison qu’on n’osait interpréter cette sorte de baptême
comme une dérision du sacre que la Reine venait de recevoir. Mais comme étant
descendu à sa rencontre, le Roi recevait sa femme selon les formes les plus
courtoises, il aperçut, venant à lui, le dauphin Louis. Son visage s’éclaira
et, se tournant vers les assistants, il leur dit, d’une voix forte et avec la
dernière gravité :
— Messieurs, voilà votre roi !
Ces paroles, et le ton dont il les prononça, eurent sur les
courtisans un effet saisissant. Il leur sembla que le Roi, se plaçant déjà de
l’autre côté de la vie, leur parlait d’outre-tombe, pour leur rappeler que leur
vrai souverain n’était pas cette femme qu’on venait de couronner,
Weitere Kostenlose Bücher