Labyrinthe
en exhibant la lettre que Harif lui avait fait parvenir.
— J'en ai reçu une semblable à Chavouot 1 , le mois dernier, déclara Siméon après en avoir pris connaissance. Elle stipulait d'attendre votre venue, bien que, je le confesse, vous ayez été plus long à venir que je le pensais. »
Pelletier replia la lettre et la remit dans sa poche.
« Ainsi, les livres sont toujours en votre possession, Siméon ? Céans, dans cette demeure ? Il vous faut… »
Des coups violemment frappés à la porte interrompirent leur discussion. Esther se leva d'un bond, décontenancée. Sur un signe de son maître, elle se précipita dans le couloir.
« Les livres sont toujours en votre possession, n'est-ce pas ? Ils ne sont point égarés, le pressa l'intendant, devant son expression troublée.
— Ils ne le sont point, mon ami, commença-t-il à déclarer au moment où la servante s'en revenait.
— Une dame demande à être reçue, maître, annonça cette dernière dans un hébreu rauque et précipité que Pelletier ne comprit pas, pour ne l'avoir plus parlé depuis fort longtemps.
— Quel genre de dame ?
— Je l'ignore, maître, ajouta Esther en secouant la tête. Elle souhaite prendre langue avec votre hôte, l'intendant Pelletier. »
Le trio se retourna d'un seul élan quand des pas résonnèrent dans le couloir.
« Vous l'avez laissée seule ? » s'étonna Siméon en se levant pesamment.
Comme Pelletier l'imitait, la dame en question fit irruption dans la pièce. Il battit des paupières, tant il n'en croyait pas ses yeux. Ses soucis les plus pressants s'évanouirent tandis qu'il regardait Alaïs, debout sur le seuil de la pièce. Il observa sa fille, rougissante, dans les yeux de laquelle se lisaient à la fois repentir et détermination.
« Veuillez pardonner mon intrusion, déclara-t-elle, son regard naviguant entre son père et Siméon. Je craignais de me faire éconduire par votre servante. »
Traversant la pièce en deux enjambées, Pelletier prit sa fille dans ses bras.
« Ne soyez point courroucée contre moi, bredouilla-t-elle. Il fallait que je vous voie.
— Puis-je savoir qui est cette charmante personne ? » intervint Siméon.
En réponse, l'intendant prit sa fille par la main et la conduisit au centre de la pièce.
« Naturellement, je manque à tous mes devoirs. Siméon, je vous présente Alaïs, ma fille. Quant à savoir comment et pourquoi elle est arrivée jusqu'à Besièrs, je ne saurais le dire ! » Alaïs esquissa une révérence : « Et voici mon très cher et très vieil ami Siméon, de Chartres, originaire de la ville sainte de Jérusalem. »
Siméon se confondit alors en sourires.
« Ainsi, vous êtes Alaïs, la fille de Bertrand. Soyez la bienvenue dans ma demeure », ajouta-t-il en lui prenant les mains.
1. Pentecôte juive. (N.d.T.)
28
« Me parlerez-vous de votre amitié ? » s'enquit Alaïs, sitôt assise près de son père. Elle se tourna vers Siméon : « Lorsque je l'ai questionné à votre sujet, il n'avait point l'esprit à la confidence. »
Siméon était plus âgé qu'elle l'avait cru. Ses épaules étaient affaissées et son visage quadrillé de rides, la carte géographique d'une existence sillonnée de chagrins et de pertes, autant que de rires et d'instants de grand bonheur. Sous le sourcil broussailleux, luisait un regard pétillant d'intelligence. Si ses cheveux bouclés étaient presque entièrement gris, sa longue barbe, ointe et parfumée, demeurait aussi noire qu'une aile de corbeau. Alaïs comprenait à présent le désarroi de son père concernant le cadavre retrouvé dans l'Aude.
En observant discrètement les mains de Siméon, elle conçut un frisson de satisfaction. Elle ne s'était pas trompée : le pouce gauche exhibait un anneau identique à celui de son père.
« Or sus, Bertrand, disait le juif. Elle mérite de savoir. Elle a chevauché assez longtemps pour cela, me semble-t-il ! »
Lèvres pincées, Pelletier semblait vouloir se clore à toute explication. Alaïs l'observa à la dérobée.
Il prend conscience de mes actes, et s'en trouve fort courroucé.
« Vous n'avez pas fait le voyage de Carcassona sans escorte ? s'enquit-il enfin. Vous n'auriez pas commis pareille folie ? C'eût été terriblement risqué.
— Je…
— Répondez à ma question.
— Il m'a semblé plus sage…
— Plus sage ! éructa Pelletier. Par tous les…
— Le caractère toujours aussi bouillant, à ce que je
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