L'âme de la France
« révolutionnaire jusqu'à la paix ».
La répression – à Lyon on tire au canon sur les « royalistes », à Nantes on les noie, en Vendée on les fusille, partout on les décapite – n'épargne personne, puisque tout le monde, dès lors qu'il s'oppose à la politique du Comité de salut public où Robespierre a fait son entrée en juillet 1793, est suspect.
On guillotine les « enragés » qui réclamaient pour le quart état une « révolution sociale », un nouveau maximum des prix, et non pas l'application d'un maximum pour les salaires.
Marat a été assassiné le 13 juillet 1793 par Charlotte Corday, sinon il aurait été de la charrette qui, au printemps 1794, conduit les enragés à l'échafaud.
Puis ce sera le tour des « indulgents » – Danton, Desmoulins –, accusés de vouloir mettre fin à la Terreur, à la guerre, donc à la révolution, et soupçonnés de vouloir abandonner la mystique républicaine.
Procès bâclé pour étouffer la grande voix de Danton en ce printemps 1794.
Certes, les armées de la République terroriste sont victorieuses en ce même printemps (Fleurus, le 26 juin), mais le pouvoir est isolé.
Les enragés sont toujours en quête de pain bon marché, et crient devant le blocage de leurs salaires : « Foutu maximum ! »
La République n'est plus pour eux qu'un régime parmi d'autres.
La nation est épuisée, et chacun se sent suspect.
Pourquoi cette surveillance, ces exécutions, si la victoire est acquise ?
Robespierre et ses partisans se retrouvent seuls parmi les cadavres des enragés et des indulgents, cibles toutes désignées pour tous ceux qui, après avoir mis en œuvre une implacable terreur (Barras, Fouché), craignent qu'elle ne se retourne contre eux.
Le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), Robespierre est renversé. Cent sept de ses partisans sont décapités. Jamais on n'a autant exécuté en un jour.
Ce paroxysme terroriste et républicain, cette politique mystique et patriotique, ces luttes inexpiables entre factions, se gravent dans l'âme de la France.
Au moment où le pays invente la démocratie moderne – élections aux états généraux, débats, Constitution –, il en génère aussi les pathologies : le parti « unique », la loi des suspects, le Tribunal révolutionnaire, la Terreur.
La guerre contamine ainsi tout l'ordre politique.
Saint-Just, l'une des victimes du 9 thermidor, a dit : « La Révolution est glacée. »
La République l'est tout autant.
40.
Cinq années seulement, mais un fleuve d'événements et de sang, séparent cet été 1794 de l'an 1789, quand la prise et la destruction de la Bastille allaient faire entrer la France dans ce territoire inconnu nommé Révolution.
Les hommes qui siègent à la Convention, après la chute des robespierristes, savent qu'ils sont tous des survivants de cette imprévisible et interminable odyssée.
Pendant la Terreur, comme le dira Sieyès, ils ont « vécu » en s'enfonçant dans le « marais », évitant de choisir entre Girondins et Jacobins, pour échapper à la loi des suspects, au Tribunal révolutionnaire, à la colère des enragés.
Mais, à la Convention, ils ont approuvé les mesures de salut public, pas seulement parce qu'ils craignaient, en s'y opposant, de faire figure de suspects et de monter dans la charrette pour l'échafaud, mais parce qu'ils ne voulaient pas du retour à l'Ancien Régime. Ils en auraient été les premières victimes, trop révolutionnaires pour ces émigrés qui se pressaient aux frontières avec les armées étrangères.
Maintenant que la « crête » de la Montagne a été arasée, ils veulent endiguer le fleuve, le canaliser afin qu'il s'apaise, que la République profite aux républicains, c'est-à-dire à eux.
Car, après ces temps tumultueux, ces jours de terreur, les survivants aspirent à jouir de leur victoire. Ils sont la République.
Ceux qui, comme les frères du défunt roi, le comte de Provence (successeur en titre de Louis XVI après la mort à la prison du Temple, le 8 juin 1795, du Dauphin Louis XVII), le comte d'Artois, imaginent qu'ils vont pouvoir restaurer l'Ancien Régime (catholicisme religion d'État, ordres reconstitués, parlements rétablis, déclare le futur Louis XVIII dans sa proclamation de Vérone, le 24 juin 1795), ne comprennent pas que les conventionnels entendent créer « leur » République.
Ils ne veulent ni de l'Ancien Régime ni même d'une
Weitere Kostenlose Bücher