L'âme de la France
politiciens corrompus, lâches, incapables, petits hommes sans gloire que la vue d'un manipule suffit à disperser comme des oiseaux apeurés.
Mais, quel que soit le jugement qu'on porte sur le personnage, il est l'un des môles qui marquent les débuts de la période contemporaine de notre histoire.
Un courant politique se forme autour de lui : espérance ou menace, c'est le bonapartisme . Face à l'impuissance des politiciens, l'homme du recours, par un coup d'État que légitime la situation de la nation et restaure l'ordre et l'autorité. Il unifie le peuple. Il défend les intérêts de toute la patrie contre ceux qui, révolutionnaires ou monarchistes, n'agissent qu'en fonction de leur idéologie ou de leur clientèle.
Il incarne le centre opposé aux extrêmes.
Sa force lui vient de ce qu'il a le soutien du peuple et des armées.
Si ce général de coup d'État, ce dictateur – ou bien ce héros météorique – s'est imposé jusqu'à occuper pareille place dans l'âme de la France, c'est que la situation de la nation favorise son entreprise et permet à son ambition de se réaliser.
En ces dernières années du xviii e siècle, après la tourmente révolutionnaire, la société française a soif de paix intérieure et de stabilité.
Les notables, les nantis, les paysans, qui ont profité les uns de la vente des biens nationaux, les autres, de la suppression des droits seigneuriaux, aspirent au calme.
La guerre ne les affecte qu'indirectement (conscription, impôts). Elle se déroule loin de la France : en Italie, contre l'Autriche, et Bonaparte, qui s'est vu confier le commandement de l'armée d'Italie en guise de récompense pour les services rendus en vendémiaire, s'y couvre de gloire à Arcole, à Rivoli. Il signe le traité de Campoformio. Il envoie son butin – argent et œuvres d'art – au Directoire.
À la manière de César, il écrit sa propre légende, transforme chacune de ses actions en triomphe, conquiert l'opinion.
Il met ainsi en œuvre une stratégie qui combine la gloire militaire (il montre du génie dans cette campagne d'Italie de 1796 à 1797) et la sociabilité politique (il est l'homme de Barras, proche de Sieyès, de Fouché, de Talleyrand) qui le fait apparaître comme le général au service des Directeurs, mais il est aussi le chef indépendant qui porte les espoirs de l'opinion.
Avec son épée, il peut trancher le nœud gordien des intrigues politiciennes.
Son aventure égyptienne – mai 1798 – et son retour « miraculeux », en octobre 1799, font de lui un héros de légende.
Mais il ne peut jouer ce rôle que parce que le Directoire ne parvient pas à stabiliser la situation.
Le pouvoir des Directeurs, qui, comme celui des thermidoriens, entend se situer au centre, est menacé : d'un côté, les héritiers des Jacobins et des enragés parlant au nom du peuple des « infortunés » rêvent d'une société égalitaire ; de l'autre, par le simple jeu électoral, les institutions risquent d'être pénétrées par les « Jacobins blancs », ces royalistes qui veulent en finir avec la République, même s'ils divergent sur le type de monarchie à rétablir (absolue ou constitutionnelle).
Gauche, droite, centre : figures désormais classiques de la politique française.
En mai 1796, le Directoire déjoue la « conspiration des Égaux » fomentée par Babeuf, qui vise à établir un communisme de répartition supprimant la propriété privée.
Babeuf se poignardera au cours de son procès, et une trentaine de ses compagnons seront fusillés en 1797.
Mais leur souvenir, transmis par quelques survivants – Buonarroti –, fera germer au xix e siècle les idées « babouvistes », créant un socle pour le communisme et le socialisme français dont on mesure ainsi l'enracinement profond dans l'histoire nationale.
Le 18 fructidor (avril 1797), le Directoire doit faire face à une poussée électorale royaliste ; les Directeurs font alors appel au général Bonaparte, qui leur délègue le général Augereau.
Terreur froide : arrestations, épurations, déportations.
La preuve est faite à nouveau que le centre ne peut imposer sa politique républicaine – défendant les transferts de propriété qui ont eu lieu pendant la Révolution, affirmant le caractère laïque de l'État dans une perspective voltairienne – que s'il dispose du soutien de l'armée.
Ce soutien est d'autant plus nécessaire qu'en 1798 (le
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