L'âme de la France
obtenir une révision du procès d'Alfred Dreyfus.
On se heurte à l'antisémitisme.
On est accusé d'affaiblir l'armée, donc, d'une certaine manière, de prendre parti pour l'Allemagne.
Dans ces conditions, le rôle d'un Clemenceau, d'un Péguy (1873-1914), d'un Jaurès, des intellectuels – le terme apparaît à l'époque –, de la Ligue des droits de l'homme qu'ils constituent, est déterminant.
C'est dans L'Aurore de Clemenceau que, le 14 janvier 1898, Zola, au faîte de sa gloire, publie son « J'accuse » : « Je n'ai qu'une seule passion, celle de la lumière... La vérité est en marche, rien ne l'arrêtera ! »
Le pays se divise en dreyfusards et antidreyfusards.
Les corps constitués, les monarchistes, les catholiques, les ligues – des patriotes, de la patrie française –, la France antirépublicaine, sont hostiles à la révision.
Les républicains avancés, les « professeurs », les socialistes – après avoir longtemps hésité : Dreyfus n'est-il pas un « bourgeois » ? – en sont partisans.
Cette bataille qui prend l'opinion à témoin, qui pousse les « intellectuels », les écrivains, à s'engager – Barrès contre Zola –, ces valeurs de vérité et de justice désormais considérées comme plus importantes que la « raison d'État », font de l'affaire Dreyfus un événement exemplaire témoignant qu'il y a bien une « exception française ».
La justice ne doit pas s'incliner devant l'armée.
Les valeurs de vérité et le respect des droits de l'homme sont supérieurs aux intérêts de l'État dès lors que celui-ci viole les principes.
Il est capital pour l'âme de la France qu'à la fin d'un combat de plus de dix ans les dreyfusards l'emportent.
Les « valeurs » s'inscrivent ainsi victorieusement au cœur du patriotisme républicain qui s'oppose à un nationalisme arc-bouté sur une vision sincère mais étroite des intérêts de l'État.
En ce sens, l'affaire Dreyfus prolonge la tradition qui avait vu Voltaire prendre parti pour Calas et le chevalier de La Barre contre les autorités cléricales et royales.
L'esprit républicain qui l'a emporté au terme de l'affaire Dreyfus va s'affirmer tout au long du xx e siècle avec le rôle combiné des intellectuels et de la Ligue des droits de l'homme (40 000 adhérents en 1906).
Mais ce sont davantage des personnalités extérieures à la société politique qui se sont engagées. Pour un Jaurès, que de silences prudents !
Quant au pays provincial et rural, aux notables locaux, ils ont été bien moins concernés par l'« Affaire » que les milieux parisiens. Les élections de 1898 changent peu la composition de l'Assemblée : Jaurès, dreyfusard, soutien de Zola, est battu.
Le souci de ne point affaiblir l'armée, dans la perspective d'une future confrontation avec l'Allemagne, en proclamant qu'elle a failli, intervient sans doute dans la réticence d'une large partie de l'opinion.
Ce qui tendrait à montrer qu'au fond les Français, qu'ils soient dreyfusards ou antidreyfusards, républicains ou ennemis de la « Gueuse », sont d'abord des patriotes, les uns privilégiant les valeurs des droits de l'homme identifiées à la République, les autres, la tradition étatique, certes, mais patriotique elle aussi.
À l'heure où, par l'alliance franco-russe (1893) et par le maintien, malgré des différends coloniaux, de bons rapports avec le Royaume-Uni, les gouvernements successifs préparent la « revanche », il est vital que la III e République soit capable de susciter, malgré les fractures de l'opinion, une « union patriotique ».
5
L'UNION SACRÉE
1907-1920
55.
De 1907 à 1914, la France marche vers l'abîme de la guerre en titubant.
D'un côté, elle semble décidée à l'affrontement avec l'Allemagne de Guillaume II afin de prendre sa revanche et de récupérer l'Alsace et la Lorraine tout en effaçant le souvenir humiliant de Sedan et de la débâcle de 1870.
Dans les milieux littéraires parisiens, après la réhabilitation de Dreyfus en juillet 1906, et comme pour affirmer que l'on continue à avoir confiance dans l'armée, on constate un renouveau du nationalisme et du militarisme.
Barrès, Maurras (1868-1952), mais aussi Péguy, l'ancien dreyfusard, chantent les vertus de la guerre : « C'est dans la guerre que tout se refait ; la guerre n'est pas une bête cruelle et haïssable, c'est du sport vrai, tout simplement », va-t-on répétant.
On
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