L'âme de la France
partir des années 30 dans une ligue patriotique antiparlementaire rassemblant ceux qui ont combattu en première ligne : les Croix-de-Feu. Ils seront près de cent cinquante mille.
Il y a ceux que la « boucherie » guerrière a révoltés, qui ne veulent plus revoir « ça ». Ils sont pacifistes. D'autres se pensent révolutionnaires parce que, selon Jaurès « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage ». Ceux-là sont devenus communistes.
Il y a ceux qui croient à l'entente possible entre les États.
Ils font confiance à la Société des Nations pour régler les différends internationaux. Ils pleurent en écoutant Aristide Briand, pèlerin de la paix, plusieurs fois président du Conseil et ministre des Affaires étrangères durant sept années –, lorsqu'il salue l'adhésion de l'Allemagne à la Société des Nations (1926), signe le pacte Briand-Kellog mettant la guerre hors la loi (1928) ou appelle à la constitution d'une Union européenne (1929) et déclare : « Arrière, les fusils, les mitrailleuses, les canons ! Place à la conciliation, à l'arbitrage, à la paix ! »
Il y a ceux qui, après la « marche sur Rome », la prise du pouvoir par Mussolini (octobre 1922), veulent imiter le fascisme italien et sont parfois financés par lui.
Ils créent un Faisceau des combattants et des producteurs (Georges Valois, 1925), des mouvements qui se dotent d'un uniforme – les Jeunesses patriotes, les Francistes –, comme si ces jeunes hommes qui ont vécu la discipline militaire et porté le bleu horizon ne pouvaient y renoncer et voulaient pour la France un « régime fort », ce que Mussolini a qualifié, dans les années 30, d'État « totalitaire », inventant ce mot.
Et puis il y a les hommes politiques qui continuent à renverser les gouvernements au Parlement – la moyenne de durée d'un président du Conseil est de six mois !
Ils sont radicaux-socialistes, le parti clé de voûte de la III e République, dont les chefs – Édouard Herriot (1872-1957), Édouard Daladier (1884-1970) – peuvent s'associer aussi bien avec les socialistes qu'avec les républicains modérés, comme Poincaré – président de la République jusqu'en 1920, puis plusieurs fois président du Conseil.
Il y a ceux qui veulent oublier et la guerre et l'avenir.
Ils dansent et boivent (la consommation d'alcool a été multipliée par quatre entre 1920 et 1930). Ils se laissent emporter par les rythmes nouveaux des « années folles » (autour de 1925).
Car la France n'est pas seulement une « gueule cassée », elle a aussi « le diable au corps ».
L'auteur de ce roman, publié en 1923, Raymond Radiguet, écrit : « Je flambais, je me hâtais comme les gens qui doivent mourir jeunes et qui mettent les bouchées doubles. »
Et Léon Blum, le socialiste qui, en décembre 1920, au congrès de Tours, avait dit à ses camarades qui, majoritaires, allaient fonder le Parti communiste : « Pendant que vous irez courir l'aventure, il faut que quelqu'un reste pour garder la vieille maison », se souvient de ces années-là : « Il y eut quelque chose d'effréné, écrit-il, une fièvre de dépenses, de jouissance et d'entreprise, une intolérance de toute règle, un besoin de mouvement allant jusqu'à l'aberration, un besoin de liberté allant jusqu'à la dépravation. »
En fait, ceux qui s'abandonnent ainsi tentent de fuir la réalité française qui les angoisse.
Ils expriment avec frénésie leur joie d'avoir échappé à la mort, aux mutilations que leurs camarades, leurs frères, leurs pères, ont subies et dont ils portent les marques sur leurs visages, dans leurs corps amputés.
Ils rêvent à l'avant-guerre de 14, devenu la « Belle Époque », oubliant les violences, les injustices, les impuissances, les aveuglements qui avaient caractérisé les années 1900.
L'âme de la France se replie ainsi sur les illusions d'un passé idéalisé, d'un avenir pacifique, et, pour certains, d'une force capable d'imposer aux autres les solutions françaises.
C'est cette combinaison entre refus de voir, angoisse, désir de jouir, souvenir des morts et des malheurs de la guerre, croyance en l'invincibilité française, qui caractérise alors l'âme de la France.
On veut croire en 1923 que Poincaré, en faisant occuper militairement la Ruhr, en s'emparant de ce gage, réussira à obtenir que l'Allemagne paie les réparations que le traité de
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