L'âme de la France
– Malraux est le plus illustre d'entre eux – sont-ils peu nombreux (moins de 10 000).
Même si le « peuple » ouvrier est solidaire de ses camarades espagnols, il aspire d'abord à « profiter » des congés payés et des auberges de jeunesse !
Attitude significative : elle révèle qu'on imagine que la France peut rester comme un îlot préservé alors que monte la marée guerrière.
Et, avec la non-intervention en Espagne, la ligne Maginot, l'accord de Munich, les élites renforcent cette croyance, cette illusion.
Comment, dans ces conditions, préparer la France à ce qui vient : la guerre contre l'Allemagne nazie ?
En fait, durant ces quatre années (de 1934 à 1938), c'est comme si le pays et ses élites avaient été incapables – ou avaient refusé – de voir la réalité, de trancher le nœud gordien de cette crise nationale qui mêlait chaque jour de façon plus étroite politiques intérieure et extérieure.
Au temps du Front populaire, le 14 Juillet, on défile avec un bonnet phrygien, et l'entente des communistes, des socialistes et des radicaux se fait ainsi dans l'évocation et la continuité de la tradition révolutionnaire.
L'hebdomadaire qui exprime cette sensibilité du Front populaire s'intitule Marianne .
On célèbre aussi – en mai 1936 – le souvenir de la Commune de Paris en se rendant en cortège au mur des Fédérés en hommage aux communards fusillés au cimetière du Père-Lachaise.
Nouvelle référence révolutionnaire alors que les mesures du Front populaire sont importantes – congés payés, scolarité obligatoire et gratuite jusqu'à quatorze ans –, mais ne « révolutionnent » pas la société française.
Au reste, les radicaux de Daladier, interprètes des classes moyennes, sont des modérés qui n'accepteront jamais une dérive révolutionnaire du Front populaire. D'autant moins que le basculement électoral qui a permis la victoire du Front, aux élections d'avril-mai 1936, ne porte que sur... 150 000 voix !
Les « discours » et « références » révolutionnaires ne sont donc qu'illusion, simulacre.
Mais ils sont suffisants pour provoquer l'inquiétude et même une « grande peur » parmi l'opinion modérée, dans les couches moyennes, chez les paysans.
Parce que, derrière le Front populaire, on craint les communistes ; ils ont désormais 76 députés – plus que les radicaux –, et il y a 149 députés socialistes. Ils ont refusé de participer au gouvernement radical et socialiste de Léon Blum, tout en le « soutenant ». Pourquoi, si ce n'est pour « organiser » les masses (les adhérents du Parti communiste sont passés de 40 000 en 1933 à plus de 300 000 en 1937) ?
Les propos révolutionnaires, joints à ces réalités, aggravent les tensions.
Lorsqu'on entend chanter les militants du Front populaire, portant le bonnet phrygien, « Allons au-devant de la vie. Allons au-devant du bonheur. Il va vers le soleil levant, notre pays », l'opinion modérée ne craint pas seulement un retour à la terreur de 1793. Ce chant est soviétique.
On a donc peur des « bolcheviks » au moment précis où les grands procès de Moscou dévoilent la terreur stalinienne.
Donc, indissociablement, à chaque instant de la vie politique, la situation intérieure renvoie à des choix de politique extérieure.
La peur, la haine entre Français, s'exacerbent. Salengro, ministre de l'Intérieur de Blum, est calomnié et se suicide. Georges Bernanos écrira : « L'ouvrier syndiqué a pris la place du Boche ». La nation, sur tous les sujets, est divisée.
Ainsi, en 1935, les élites intellectuelles s'indignent dans leur majorité que la France, à la Société des Nations, vote des sanctions contre l'Italie fasciste qui a entrepris la conquête de l'Éthiopie, État membre de la SDN.
Dans les rues du Quartier latin, à Paris, les étudiants de droite manifestent contre le professeur Jèze, défenseur du Négus.
Les académiciens évoquent la mission civilisatrice de l'Italie fasciste face à l'un des pays les plus arriérés du monde : cette « Italie fasciste, une nation où se sont affirmées, relevées, organisées, fortifiées depuis quinze ans quelques-unes des vertus essentielles de la haute humanité ». Et c'est pour protéger l'Éthiopie qu'on risque de déchaîner « la guerre universelle, de coaliser toutes les anarchies, tous les désordres » !
D'un côté, les partisans du Front populaire
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