L'âme de la France
rassemble, que les anciens combattants se retrouvent « unis comme au front ».
Aux élections législatives du 16 novembre 1919, le Bloc national, constitué par les partis conservateurs et par les républicains modérés, remporte une victoire éclatante et constitue une « Chambre bleu horizon ». De nombreux anciens combattants y ont été élus.
C'est une défaite pour le Parti socialiste, dont le nombre d'adhérents a augmenté rapidement après l'armistice, qui regarde avec passion et enthousiasme les bolcheviks consolider leur pouvoir, qui s'insurge contre l'envoi de militaires français en Pologne, de navires de guerre en mer Noire, d'armes aux troupes blanches qui combattent les rouges.
Mais le verdict des urnes est sans appel : le suffrage universel renvoie l'image d'une France modérée, patriote, qui refuse l'idée de révolution. Même s'il existe des révolutionnaires dans les rangs de la CGT et au sein du Parti socialiste, qui souhaitent la sortie de l'Internationale socialiste et l'adhésion à la III e Internationale communiste.
Les oppositions sont vives entre la majorité Bloc national et la minorité séduite par le discours révolutionnaire.
Un signe ne trompe pas : en avril 1919, un jury d'assises a acquitté Raoul Villain, l'assassin de Jaurès.
Une manifestation de protestation rassemblant la « gauche » a eu lieu à Paris – la première depuis 1914. Elle montre la vigueur de cette composante de l'opinion, mais illustre aussi son caractère minoritaire.
En fait, après l'effort sacrificiel de la guerre, le pays se divise.
Chacun puise dans l'histoire nationale les raisons de son engagement.
Les socialistes tentés par le léninisme font un parallèle entre jacobinisme et bolchevisme. La révolution de 1789 – et surtout de 1793 –, la Commune de 1871, leur paraissent préfigurer la révolution prolétarienne et le communisme. La Russie est une Commune de Paris qui a réussi.
On affirme sa solidarité avec les soviets. Des marins de l'escadre française envoyée en mer Noire pour aider les blancs se mutinent.
On conteste la politique d'union sacrée qui a été suivie par les socialistes en 1914. On se convainc que c'était Lénine qui, en prônant le défaitisme révolutionnaire, avait raison.
Au mois de décembre 1920, à Tours, la majorité du Parti socialiste – contre l'avis de Léon Blum – accepte les conditions posées par Lénine pour l'adhésion à l'Internationale communiste.
À côté de la SFIO va désormais exister un Parti communiste, Section française de l'Internationale communiste (SFIC). L'Humanité de Jaurès devient son journal.
C'est donc sur la tradition française qu'est greffée la souche bolchevique.
En soi, cette volonté d'imitation d'une expérience étrangère, la soumission acceptée à Moscou, sont la preuve que, alors qu'elle est la première puissance du continent après la défaite de l'Allemagne, la France est devenue moins « créatrice » d'histoire, plutôt l'« écho » d'une histoire inventée ailleurs.
Le pays se replie sur sa victoire et sur ses deuils.
Quand le débat s'engage pour savoir quelles dispositions militaires prendre pour se protéger d'une future volonté de revanche et de la contestation allemande du traité de Versailles, le maréchal Pétain propose un système de forteresses qui empêchera toute invasion.
C'est la prise de conscience d'un affaiblissement, malgré la victoire du pays.
On peut lire dans La Nouvelle Revue française , en novembre 1919, sous la plume de l'écrivain Henri Ghéon :
« L'être de la France est en suspens. Si le triomphe de nos armes l'a sauvée de la destruction et du servage, il la laisse si anémiée, et de son plus précieux sang, et de son capital-travail, et de son capital-richesse, que sa position, son assiette, est matériellement moins bonne, moins sûre, moins solide, malgré la récupération de deux provinces et l'occupation provisoire du Rhin, qu'en juillet 1914. »
Et Ghéon d'ajouter :
« Il nous paraît que la France n'aura vaincu, qu'elle ne sera, ne vivra qu'en proportion de nos efforts nouveaux pour faire durer sa victoire. »
Mais, après la tension de la guerre, les sacrifices consentis, l'âme de la France a-t-elle encore les ressources pour faire face aux problèmes que la guerre – et la victoire – lui posent : déclin démographique, reconstruction, accord entre les forces sociales et politiques pour adapter le
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