L'âme de la France
qui va, siècle après siècle, unir les sujets du royaume de France à l'« oint du Seigneur ».
Le roi n'a de comptes à rendre qu'à Dieu, mais sa mission est de protéger ceux qui sont rassemblés autour de lui. S'il rompt ce lien avec Dieu – et avec l'Église, qui, elle aussi, représente Dieu en ce bas monde –, alors les régicides se lèvent pour le punir d'avoir failli à sa fonction.
Mais le meurtre du roi blesse le peuple. Il faut qu'un autre souverain renoue le lien avec le « surnaturel ».
« Le roi est mort, vive le roi ! »
Et quand la monarchie est rejetée par les représentants de toute la nation (ainsi, en 1793, avec le verdict condamnant à mort Louis XVI), un vide se crée, qu'il faut combler : Empire et Restauration d'abord, puis exaltation de la République protectrice.
L'État hérite de la divinité du roi.
Mais la force du roi de France est d'abord religieuse, intimement liée à sa personne. Et si fort est son caractère surnaturel, si personnel le lien entre lui et Dieu, entre lui et le peuple, que l'excommunication – dont Robert et Philippe sont un temps frappés pour avoir rompu des liens conjugaux – ne parvient pas à effacer l'aura surhumaine que le sacre leur a attribuée.
En outre, le royaume de France est devenu, après le temps des incertitudes, un territoire aux frontières plus précises, au centre bien identifié. C'est bien au cœur de la France que le roi réside.
Quand ses chevauchées ne le conduisent pas d'un bout à l'autre du royaume – il doit se montrer à son peuple, à ses vassaux –, il demeure à Orléans, à Étampes, à Chartres, dans cette Beauce couverte de blés, à Paris. Les grands fleuves – la Loire, la Seine, la Marne, l'Oise, la Meuse – sont les nervures de ce territoire dont Paris devient la ville la plus active.
Le roi est ainsi à même de protéger les reliques de saint Martin à Tours, celles de sainte Geneviève, le tombeau de Clovis à Paris et celui de Dagobert à Saint-Denis.
Il est sacré à Reims, où, avant d'être le pape de l'an mil, l'évêque Gerbert d'Aurillac crée des écoles. Non loin se trouvent Troyes et ses foires, où les marchands venus d'Italie et du Nord se rencontrent. Là, le rabbin Rashi (Salomon Ben Isaac, 1040-1105) rédige ses commentaires sur la Bible et le Talmud, que les moines savants consultent, méditent et contestent.
La France trouve ainsi son assise. Elle est le grand royaume de l'Ouest, et c'est la Meuse qui lui sert de frontière avec l'Empire teutonique.
Les deux souverains – le roi Robert II le Pieux et l'empereur Henri – se rencontrent au bord de ce fleuve en 1023, à Ivois.
L'empereur est reçu sur la rive « française », le roi, sur la rive « germanique ». On s'embrasse. On célèbre la messe. On échange des cadeaux.
« Ils resserrent ainsi les liens de leur fraternité, et chacun regagne ses terres. »
Les deux identités se renforcent mutuellement.
À la périphérie du royaume de France s'affirment des entités régionales : duché de Bourgogne, duché d'Aquitaine, marquisats de Toulouse, de Provence, duché de Lorraine, duché de Normandie d'où le duc Guillaume appareillera avec une flotte et 7 000 combattants pour se lancer à la conquête de l'Angleterre (1066, bataille d'Hastings).
Dès ce xi e siècle, le royaume de France apparaît donc bien comme la clé de voûte d'une civilisation européenne qui, désormais, ne connaît plus ces grandes ruées « barbares » qui l'ont transformée au fil des siècles. Les peuples se sont enracinés.
Il y a certes encore des incursions scandinaves, ou, au sud, des razzias musulmanes (Narbonne est attaquée par les Sarrasins en 1020), mais l'heure est à l'éclosion d'une société féodale qui va structurer l'âme française.
Le roi de France est le suzerain de vassaux qui disposent à leur tour d'hommes liges.
Des châteaux, le plus souvent en bois, surgissent. « Un blanc manteau d'églises neuves » couvre le royaume. Des divisions sociales nouvelles se font jour : « Les uns prient, les autres combattent, les autres travaillent », écrit en 1030 Adalbéron, évêque de Laon.
Dans le royaume où l'espace inoccupé apparaît immense, les « pauvres » – paysans, manants – sont unis par la misère et le travail, la famine et l'absence de droits.
L'égalité entre eux s'établit, la distinction ancienne qui séparait l'esclave de l'homme libre disparaît peu à
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