L'âme de la France
Bel, les ossements de Saint Louis sont placés en 1298 dans une châsse d'or derrière l'autel de l'abbaye de Saint-Denis. En 1306, Philippe le Bel obtiendra que la tête du Saint Roi soit transférée à la Sainte-Chapelle. Mais on laissera le menton, la mâchoire et les dents aux moines de Saint-Denis.
Puis on fragmentera le squelette pour offrir des reliques à tel ou tel souverain, à tel ou tel homme d'Église.
Une phalange du doigt de Saint Louis sera ainsi envoyée à un roi de Norvège...
Le roi de France bénéficie de l'immunité que lui confère son ascendance sainte. Mais il tire aussi son pouvoir de lui-même :
« Que veut le roi si veut la loi », disent les conseillers, les légistes qui forment autour de lui un groupe de plus en plus nombreux.
Ils sont membres des Chambres – la plus importante est la Chambre des comptes (1320) –, des Conseils.
Ils sont rassemblés dans le palais de l'île de la Cité, que Philippe le Bel agrandit et fortifie d'épais et hauts remparts.
Il fait édifier une immense salle à deux nefs enrichies par les statues des rois de France et qui est destinée aux avocats et à leurs clients.
Les services de juridiction criminelle sont installés dans les grosses tours. L'ensemble du « personnel » royal, de leurs familles et de leur domesticité représente près de 5 000 personnes, l'équivalent de la population d'une ville du royaume.
Personne – ni grands féodaux, ni étudiants ou professeurs, ni marchands ou moine prêcheurs – ne peut échapper à l'attraction de Paris, qui est la plus grande ville de la chrétienté avec – peut-être ? – 61 098 feux ou foyers fiscaux, soit plus de 200 000 personnes.
L'État centralisé, organisé, apprend à compter.
En 1328, une enquête sur l'état des feux les évalue pour tout le royaume à 2 469 987 répartis entre 23 671 paroisses, soit plus de 13 millions d'habitants.
Ainsi s'affirme l'un des traits constitutifs de l'histoire nationale : le pouvoir est centralisé à Paris.
Il enserre tout le territoire dans une « administration » dirigée de la capitale, du palais royal, où sont concentrés tous les rouages.
Le centre est le roi.
« Le roi est empereur en son royaume. » « Le roi ne tient son royaume que de son épée et de lui. » « Le roi ne tient de personne, sauf de Dieu et de lui. » Telle est la thèse des « conseillers », qui sont souvent des « gradués en droit » issus des universités de Toulouse, de Montpellier, d'Orléans et naturellement de celle de Paris.
Ces légistes sont avocats ou procureurs de la Couronne. Quelques-uns d'entre eux accéderont au Conseil du roi ou à la Chambre des comptes.
Ils annoncent une « haute administration ».
Les légistes les plus proches du roi (pour Philippe le Bel, Pierre Flotte, Guillaume de Nogaret, Enguerrand de Marigny) concentrent sur eux les accusations, les haines et le mépris dont on ne peut pas même concevoir d'accabler le roi.
Trahi êtes chacun le pense
Par vos chevaliers de cuisine...
écrit-on au souverain.
Et les barons, les féodaux qui subissent l'autorité royale s'indignent de la place tenue par ces
Petites gens parvenus
Qui sont à la cour maîtres devenus
Qui cousent, règnent et taillent
Toutes les bonnes coutumes défaillent
Justice désormais
À la cour on ne nous rend jamais
Serfs vilains avocassiers
Sont devenus empereurs.
Ces légistes, « boucs émissaires » jalousés, paient de leur vie leur pouvoir qu'une succession royale remet en cause.
En 1278, le chambellan de Saint Louis, Pierre de la Brice, est accusé et pendu au gibet de Montfaucon comme un détrousseur ou un crocheteur. Enguerrand de Marigny connaîtra le même sort en 1315.
Car l'État royal qui concentre, centralise le pouvoir, et dont le souverain n'a pas la même exigeante vertu, la même humilité que Saint Louis, peut se montrer une machine impitoyable.
Les cinq derniers rois capétiens ont d'abord poursuivi la politique d'élargissement de leur royaume.
Agenais, Poitou, Languedoc, Guyenne, Bourgogne – et la ville de Lyon – entrent dans le domaine royal.
Mais le Comtat Venaissin, avec Avignon, est « donné » au pape en vertu d'une promesse de Saint Louis.
Et au nord-est, en Flandre, le roi de France et ses chevaliers aux « éperons dorés » sont battus à Courtrai en 1302 par les fantassins des milices des villes drapières. La Flandre industrieuse, « bourgeoise » et
Weitere Kostenlose Bücher