L'âme de la France
« marchande », résiste ainsi à l'attraction capétienne.
La France trouve là une résistance qui ne cédera pas au cours du temps. C'est un autre « monde ».
Et pourtant la « machine royale » est puissante.
Elle fait reculer le pape Boniface VIII qui voulait que tous les chrétiens, y compris le roi de France, relèvent de sa justice (1296).
En convoquant à Notre-Dame en 1302 une assemblée de plus de mille délégués – clercs et laïques –, Philippe le Bel en appelle à la fidélité monarchique qui commence à prendre les couleurs du sentiment national. Et il ne craint pas d'envoyer Guillaume de Nogaret, son légiste, tenter de s'emparer, à Agnani, de Boniface VIII, qui mourra des suites de cet « attentat » (1303).
Pour défendre ou accroître leur pouvoir, faire respecter leur souveraineté, briser les résistances, obtenir les moyens qui leur sont nécessaires, l'État, le roi, ses légistes, sont prêts à toutes les violences.
On voit s'affirmer-là une raison d'État qui marque l'âme de la France et la structure.
Capable de faire plier la papauté, elle n'hésite pas à réprimer les émeutes, les insurrections populaires (à Provins, en 1280, lorsqu'on veut prolonger la durée du travail d'une heure sans augmentation), voire à manipuler la monnaie (1295) ou à créer de nouveaux impôts (la maltôte en 1290).
On confisque les biens des juifs (1306). Pour les condamner au bûcher et les spolier, on profite des rumeurs qui les accusent d'empoisonner les puits et de se liguer avec les lépreux, à l'instigation des musulmans, aux fins d'assassiner des chrétiens.
L'État étend son empire, se ramifie. Il a besoin de ressources. Il diminue la teneur en métal fin des monnaies, lève de nouveaux impôts. Et si on dresse en 1328 un état des feux, preuve de l'efficacité administrative de l'État, c'est d'abord pour des raisons fiscales.
L'argent et le pouvoir vont de concert.
De même, quand, à partir de 1307, Philippe le Bel s'attaque à l'ordre du Temple, c'est à la fois parce que cette organisation internationale échappe à son pouvoir, et peut même s'imposer à lui, et parce qu'elle est une puissance financière.
L'ordre est supprimé en 1312.
Par la torture et au cours d'un procès, il faut obtenir les aveux des maîtres de l'ordre. Mais Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay, devant la foule rassemblée face à Notre-Dame, proclament leur innocence et la sainteté de l'ordre. Ils seront cependant livrés aux flammes le 18 mars 1314.
Procès politique organisé par un État pour qui la justice n'est qu'un instrument parmi d'autres servant à contrôler la « totalité » des activités du royaume.
La famille royale elle-même n'est pas préservée de cette violence. D'autant que – une punition, une malédiction, murmurent certains – aucun des trois fils de Philippe le Bel n'a d'héritier mâle.
Il faut donc se montrer impitoyable avec tous ceux qui, par leur comportement, peuvent mettre en cause la légitimité de la lignée royale.
Les accusées – donc les coupables – vont être les belles-filles de Philippe le Bel : elles ont commis le péché d'adultère ou en ont été témoins. Elles sont enfermées à Château-Gaillard. Leurs amants – deux jeunes chevaliers – sont châtrés et torturés à mort (1314).
Exemplarité archaïque du châtiment, violence de cet État qui mêle modernité et barbarie, religiosité et cynisme.
Le roi vénère les reliques de Saint Louis et n'a de comptes à rendre qu'à Dieu.
Vicaire du Christ, il est à l'abri de toute critique.
Son « absolutisme » croît parce que l'État qui se construit est plus efficace, donc plus redoutable.
Au moment où, en 1328, un Valois succède aux Capétiens, l'âme de la France, la tradition nationale, conjuguent dès ces xiii e et xiv e siècles la cruauté et la sainteté, tendances contradictoires et complémentaires.
3
LE ROYAUME DÉVASTÉ ET RENAISSANT
1328-1515
14.
Le ciel s'obscurcit vite au-dessus du royaume de France lorsque meurt en 1314 Philippe IV le Bel.
Pourtant, la France est l'État le plus peuplé, le plus riche, le plus puissant de la chrétienté.
Aucune autorité temporelle, pas plus un autre roi que l'empereur germanique, ne peut imposer sa loi au roi de France, souverain de la fille aînée de l'Église.
Le pape lui-même n'y parvient pas.
Un Capétien est maître comme Dieu en son royaume.
Et il n'est pas une seule ville qui
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