L'âme de la France
pas le risque de voir un nouvel empire à l'image de celui de Charles Quint se reconstituer en Europe, cette fois au bénéfice de la France.
Ces deux leçons infligées à la France, Louis XIV, qui meurt le 1 er septembre 1715, les a-t-il comprises, et ses successeurs les ont-ils retenues, ou, au contraire, voudront-ils poursuivre cette ambition d'une prépondérance française sur le continent ?
Pour le royaume de France – et pour le Grand Roi –, ces années de guerre ont été un long hiver au terme duquel les gains ont été nuls, les souffrances, immenses, les morts, nombreuses, les transformations de la monarchie, profondes.
Si l'on ajoute que les rapports avec les États européens ennemis ont été dominés par ces guerres, on mesure que ces vingt-cinq années ont été décisives pour le royaume et pour l'image que la France a donnée d'elle-même aux peuples d'Europe.
Elle est la nation militaire : plusieurs centaines de milliers d'hommes – de 200 à 400 000 – engagés dans ces guerres.
Elle est la nation guerrière : les défaites, nombreuses, n'ont pas découragé le royaume, les victoires – Denain en 1702 – ayant permis le redressement de la situation.
Elle est la nation brutale (le sac du Palatinat), impérieuse, aux ambitions démesurées, le royaume dont il faut se méfier parce qu'il est puissant, riche et peuplé.
L'âme de la France a enregistré en elle-même ces éléments contradictoires qui ont été à l'œuvre durant ce quart de siècle français (1689-1715).
Et d'abord le coût de la guerre.
Le problème financier est bien la maladie endémique du royaume. L'endettement, l'emprunt, la manipulation des monnaies, l'augmentation des impôts, sont les caractéristiques permanentes des finances de la France.
Pour tenter de colmater le déficit, on multiplie les créations d'offices : vendeurs de bestiaux ou emballeurs, experts jurés, procureurs du roi, contrôleurs aux empilements de bois, visiteurs de beurre frais, visiteurs de beurre salé, etc.
L'argent rentre, mais la société française se fragmente en milliers d'officiers héréditaires.
Les fonctions de maire et de syndic sont mises en vente. Un édit de 1695 décide de l'anoblissement, moyennant finance, de 500 personnes distinguées du royaume.
On crée des « billets de monnaie », et le contrôleur général des finances, Chamillart, écrit à Louis XIV, faisant le bilan de cette introduction du « papier-monnaie » : « Toutes les ressources étant épuisées (en 1701), je proposai à Votre Majesté l'introduction de billets de monnaie non pas comme un grand soulagement, mais comme un mal nécessaire. Je pris la liberté de dire à Votre Majesté qu'il deviendrait irrémédiable, si la guerre obligeait d'en faire un si grand nombre, que le papier prît le dessus de l'argent. Ce que j'avais prévu est arrivé, le désordre qu'ils ont produit est extrême. »
Sur une idée de Vauban, on crée un impôt de capitation qui devrait être payé par tous (1694), puis ce sera l'impôt du dixième (1710).
Ces mesures – qui ne résolvent en rien la crise financière – permettent de payer la guerre, mais appauvrissent le pays, et, conjuguées à des hivers rigoureux, à des printemps pluvieux, aggravent en 1693-1694, puis en 1709 – le grand hiver –, la crise des subsistances, la disette, la famine.
Ainsi s'installe dans l'âme française le sentiment que l'État est un prédateur, que l'inégalité s'accroît, qu'elle s'inscrit définitivement dans ces « statuts » d'officiers qui ont le droit de transmettre leurs charges.
Les « réformateurs » comme Vauban (dans son ouvrage Projet d'une dîme royale ) ou Boisguilbert (dans Le Détail de la France, ou Traité de la cause de la diminution de ses biens et des moyens d'y remédier ) ont le sentiment qu'ils ne sont pas entendus quand l'un propose un impôt levé sur tous les revenus sans aucune exception, et quand l'autre, condamnant la « rente », l'usure, les ventes d'offices, affirme que « la richesse d'un royaume consiste en son terroir et en son commerce ».
En fait, le cancer du déséquilibre des finances s'installe et commence à ronger l'État, la confiance qu'on lui porte, à désagréger la société et à rendre quasi impossibles les réformes.
Pour trouver des ressources, l'État crée des cohortes d'officiers en leur vendant des parcelles de son autorité, en leur concédant des privilèges qui ne
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