L'âme de la France
pourront être annulés sans épreuve de force.
Or le privilège est le cœur même du principe social sur lequel s'est bâtie la monarchie, société d'ordres.
Et voici que la noblesse elle-même est mise en vente !
D'un côté, on domestique les grands et les nobles ; de l'autre, on multiplie leur nombre, on vend les privilèges afférents à cet ordre, qui en font un obstacle à la réforme !
Certes, il y a la gloire du monarque, que la guerre accroît. Et son historiographe, Racine, s'enthousiasme quand, en 1692, il assiste à une revue de 120 000 hommes, « ce plus grand spectacle qu'on ait vu depuis plusieurs siècles... Je ne me souviens point que les Romains en aient vu un tel ».
Boileau n'est pas en reste, qui exalte la présence du roi au siège de Namur (1692) et la capitulation de la ville, que César lui-même n'avait pas obtenue.
Louis XIV est bel et bien le Roi-Soleil :
À cet astre redoutable
Toujours un sort favorable
S'attache dans les combats
Et toujours avec la Gloire
Mars amenant la Victoire
Vole et le suit à grands pas.
Par cette propagande, célébration de la gloire militaire du monarque, le pouvoir absolutiste cherche à se consolider, à justifier la guerre.
Dans le même temps, les exigences nées du conflit le conduisent à accroître le contrôle des activités. La guerre impose une concentration des pouvoirs. Elle entraîne non seulement un perfectionnement technique de l'armée – fusil, baïonnette, artillerie –, mais aussi une rationalisation de toute la vie civile.
Colbert crée ainsi des administrations nouvelles, des bureaux des hypothèques. Un Conseil du commerce est mis en place. Dans chaque ville – comme cela s'est fait à Paris dès 1667 – son nommés des lieutenants de police.
Car la guerre entraîne un renforcement de la surveillance. Le courrier, et d'abord celui des courtisans, est surveillé, lu.
« C'est une misère, la façon dont on agit avec les lettres », écrit la princesse Palatine, belle-sœur du roi et grande épistolière.
De même, la répression exercée contre tous ceux qui tentent de se dresser contre l'autorité royale ou de lui échapper est implacable.
C'est l'armée du maréchal de Villars qui fait la guerre aux camisards des Cévennes, ces huguenots que commande Jean Cavalier.
Des gentilshommes traquent les jeunes paysans qui cherchent à éviter l'enrôlement dans la milice royale.
L'armée a besoin d'hommes, et ce service militaire obligatoire avec tirage au sort permettra de lever, entre 1705 et 1713, 455 000 hommes !
« La jeunesse épouvantée allait se cacher dans les réduits les plus écartés et parmi les plus grandes forêts », note un témoin, « ou bien ils cherchaient à se marier afin d'échapper à la Milice, mais certains vautours, à qui l'on donnait le nom odieux de vendeurs de chair humaine, les enlevaient jusque dans le sein de leurs familles pour les traîner au champ de Mars, servir à émousser les épées anglaises et germaniques ».
Cette « militarisation » de la société, qui est une des conséquences de l'absolutisme et un produit de la guerre, suscite la méfiance envers l'État, et la situation dramatique du royaume, à partir des années 1690, fait naître de nombreuses critiques qui mettent en cause – c'est un signe de la profondeur de la crise – la personnalité même du souverain.
Fénelon, archevêque de Cambrai, ose écrire à Louis XIV, roi désormais dévot :
« Vous n'aimez pas Dieu, vous ne le craignez même que d'une crainte d'esclave, votre religion ne consiste qu'en superstition et en pratique superficielle. »
Ce propos violent complète une Lettre anonyme à Louis XIV qui est une critique radicale de l'absolutisme et de la politique suivie.
« On n'a plus parlé de l'État et de ses règles, on n'a plus parlé que du Roi et de ses plaisirs », souligne Fénelon.
L'une des manifestations de cette évolution absolutiste est la guerre.
« On a causé depuis plus de vingt ans des guerres sanglantes..., la guerre de Hollande (1672-1678) a été la source de toutes les autres. Elle n'a eu pour fondement qu'un motif de gloire et de vengeance, ce qui ne peut jamais rendre une guerre juste. »
Et la conséquence en est que « la France entière n'est plus qu'un grand hôpital désolé et sans provisions. Les magistrats sont avilis et épuisés. La noblesse, dont tout le bien est en décret, ne vit que de lettres d'État... Le
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