L'amour à Versailles
C'était dans l’air du temps : il aurait été anachronique de ne pas y céder. Une fois même, un jardinier fut contraint de séparer de force un couple frénétique qui copulait sur la pelouse de la reine. Pour les arrêter, il n’eut pas d’autre solution, comme il était assez fort, que d’en empoigner un dans chaque main et de les jeter à l’eau tous les deux. Il y avait même des scènes typiques qui, comme les saisons, revenaient tous les ans. Tantôt c’étaient les jeunes couples d’amoureux louant une barque pour s’aimer librement au fond du Grand Canal, mais, tandis qu’il rame et qu’elle pompe, l’embarcation dérive et ils se retrouvent à bon port, juste devant les familles venues manger une glace à la terrasse de La Flottille. Tantôt c’étaient les Fêtes de nuit et deux tourtereaux, croyant que l’obscurité les protégeait des regards indiscrets, se caressaient sur la pelouse, à quelques centimètres d’un pétard, et lorsque commençait le feu d’artifice, la foule amassée applaudissait à ce spectacle inédit, tout en se demandant si elle avait bien vu ce qu’elle venait de voir, car la scène n’avait duré que quelques secondes. Tantôt enfin, c’étaient les messes noires de la jeunesse versaillaise qui se transformaient immanquablement en communion sous toutes ses formes. Il y avait aussi les habitués, la « Pipeuse » qui officiait dans une Volvo et seplaisait à faire l’allume-cigare pour son compagnon qui laissait mes hommes profiter de la scène, l’« Allemande », une femme incroyablement maigre qui exposait ses os au grand complet sur une pelouse près de l’Étoile Royale, ou encore « Adam » qui feignait la surprise chaque fois que l’un de mes hommes le trouvait, sans feuille de vigne, au fond du parc. Je ne compte pas les amants se croyant seuls au monde à quelques centimètres de la foule et les mille et un objets destinés à exciter le plaisir masculin que mes hommes trouvaient dans les poubelles : un collectionneur, d’un goût assez douteux j’en conviens, avait dans son casier une dizaine de vagins artificiels provenant tous des bosquets proches du château !
De ces miscellanées du sexe versaillais, je garde en mémoire quelques anecdotes particulièrement savoureuses. Il y a tout d’abord celle que j’ai baptisée « Au pied du mur ». Je suis dans une allée qui monte vers les serres, après avoir passé le Grand Trianon. Sur un chemin bitumé, au milieu de la chaussée, un jeune homme embrasse voluptueusement sa compagne, tout en promenant la main entre ses cuisses. Je me fais discret, notant au passage que pour la passe d’armes, la demoiselle a sorti tout son attirail de combat, minijupe, guêpière et bas de soie. Je vaque à mes occupations pour leur laisser le temps de se rhabiller, medisant que certains n’ont pas froid, ni aux yeux ni aux cuisses, puis reviens vers les serres. Le couple a disparu.
Dans les serres non plus il ne fait pas froid. L'atmosphère est chaude, humide et poussiéreuse, vaguement inquiétante, car l’endroit est désert. Les plantes, cléomes, dahlias, begonias, asters, giroflées, verveine et lavande, sont abandonnées, çà et là quelques bêches et quelques truelles, comme si une bombe avait éclaté. J’appelle, pas de réponse. Dans les vestiaires, personne, à l’atelier personne; même l’orangerie est vide. Tous les jardiniers du secteur ont disparu. Je peste, vocifère, m’inquiète, lorsque j’aperçois sur le mur de la pépinière une tête. Je m’approche : tout le personnel, sans exception, est posté le long du mur, juché sur des échelles, des bidons ou des remorques de tracteur. Pas un ne m’entend venir tant ils sont occupés à contempler, de l’autre côté du mur, le jeune homme de tout à l’heure en train de batailler avec les jarretelles de sa guerrière. Cela fait longtemps apparemment qu’ils en sont venus aux mains car la dame part dans un hurlement de cantatrice enrouée, bientôt suivi par le coup de cymbale final de son compagnon, accompagné des applaudissements de mes jardiniers spectateurs. Croyez-le ou non, les deux artistes, ravis de leur prestation qui, paraît-il, n’était pas une première,vinrent au plus près de ce « quatrième mur » pour saluer leur auditoire éberlué.
Une autre fois, par une belle matinée d’hiver, nous fauchons les bosquets pour éviter que la ronce n’y devienne trop envahissante. La machine utilisée est un gyrobroyeur,
Weitere Kostenlose Bücher