L'amour à Versailles
sorte de tondeuse géante qui rase et moud en faisant un bruit de camion. Près de l’allée des Rendez-Vous, un bosquet est connu pour être le haut lieu de la fornication. Il faut reconnaître que l’endroit est propice : l’entrée est située juste à côté des grilles du parc, permettant de s’y rendre discrètement, sans croiser des voisins venus malencontreusement se promener ce jour-là. En outre, il est aussi très grand (c’est l’un des plus vastes du parc) et riche en buissons : on peut être sûr d’y trouver un coin tranquille à toute heure du jour et de la nuit. Par pitié pour les amants, nous le fauchons avec un soin particulier, de préférence assez tôt, pour éviter d’incommoder les couples. Le bosquet est si fréquenté que le jardinier chargé de la fauche ce matin-là frémit à peine lorsqu’il aperçoit deux paires de jambes savamment emmêlées. Pour tout dire, leurs propriétaires ne semblent pas non plus s’en inquiéter puisqu’ils continuent de plus belle. Le chauffeur ralentit et le couple, au bout de quelques minutes, remballe la bagatelle et détale avec dignité. En revanche, mon homme pile,lorsqu’il croit voir un lapin agitant le lierre en contrebas. C'est bien tout le jardinier : il est plus tendre avec un lapin qu’avec une bête à deux dos ! Le moteur s’arrête. Surgit, déguisé comme un vétéran du Vietnam, un homme de petite stature, couvert de branchages, le visage plein de terre et le pantalon à peine reboutonné : le vétéran du Vietnam est aussi un vétéran du voyeurisme, qui, comme ruse de guerre, n’a rien trouvé de mieux que de creuser une tranchée dans laquelle il s’est camouflé !
Les anonymes ne sont pas les seuls à s’être dévergondés dans les jardins. Je connais maintes célébrités qui rougiraient, de honte ou de plaisir, juste à l’évocation de leur bosquet préféré. Une actrice notamment, était, dans les années 1980, une habituée. Mes jardiniers, en plus d’avoir payé pour la voir, en privé, vêtue légèrement à la une d’un magazine, allaient la voir gratis et en public au Hameau de la reine. La comédienne avait la manie d’exposer son mont de Vénus sur les hauteurs de Trianon. Elle portait toutefois un costume : une courte jupe que son compagnon soulevait abondamment. Plus il y avait de monde à la revue, plus elle était satisfaite, et si les spectateurs étaient des visiteurs japonais, elle redoublait de mimiques et d’expressions pour mieux leur faire comprendre le scénario. Plusieurs fois ungardien est allé lui demander de dissimuler son talent, mais elle rétorquait qu’elle entendait en faire profiter tout le monde, tant et si bien que j’ai dû intervenir. J’ai encore aujourd’hui son autographe.
Les hommes politiques aiment tromper la République dans l’ancienne propriété des rois. De droite ou de gauche, j’ai vu tous les bords et tous les partis à Versailles, dans leurs parties les plus intimes. Nombre d’entre eux, d’ailleurs, préfèrent ne pas voter utile. Je me souviens d’une fois où je fus alerté, près du Fer à Cheval, non loin du Grand Trianon, par des cris féminins qui n’avaient rien de voluptueux, accompagnés d’une volée d’insultes les plus ordurières. Chevaleresque, je m’approche avec délicatesse, bien persuadé toutefois qu’il s’agit d’une agression. Je m’avance dans le fourré, prêt à voler au secours de la malheureuse offensée. En fait d’offense, la jeune femme est en train de recevoir les hommages tonitruants d’un notable, accrochée à un arbre et les jambes écartées. L'homme, debout, à mon arrivée cesse va-et-vient et injures, se retourne vers moi et m’offre un sourire poli : j’ai cru un instant qu’il allait me serrer la main. Le soir, en allumant la télévision, je vois, aux informations, mon « agresseur », respectable élu de la droite conservatrice, prononcer une diatribe aussi enflammée que sescoups de reins de l’après-midi, contre la licence éhontée des programmes destinés à la jeunesse, en passe de perdre toute morale. Il avait pu en juger sur pièce, car la jeune femme qu’il invectivait et secouait avec tant de violence avait au moins trente ans de moins que lui.
Versailles n’est pas uniquement un nid d’amour réservé à la jeunesse et aux célébrités. Je connais quelques jolies histoires d’amours cacochymes, comme si le parc avait la faculté de rendre la verdeur à ses visiteurs. Il y a
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