Lancelot du Lac
parents alors qu’il était tout enfant, il avait été élevé par sa grand-mère et vivait avec elle dans un petit manoir, sans autres ressources que quelques arpents de terre et son habileté à la chasse. Or, on annonça que le roi de ce pays donnait une grande fête en l’honneur de sa fille et que tout le monde y était convié pour participer à une grande course. Le jeune homme dit sa grand-mère : « J’ai envie d’aller à la fête pour participer à la course que donne le roi. » Elle lui répondit : « Je te le déconseille, mon enfant. Tu n’iras pas cette fête, ni à aucune autre, car je t’ai entendu pleurer toute la nuit. S’il ne tenait qu’à moi, tu n’irais pas, car tu as pleuré en rêvant, cette nuit, et ce n’est pas de bon augure. – Ma bonne grand-mère, dit encore le jeune homme, si tu m’aimes, tu me laisseras aller la fête. – Je ne peux pas t’en empêcher, répondit-elle, mais je sais qu’en allant à la fête, tu chanteras, et que lorsque tu en reviendras, tu pleureras. »
Éven se hâta d’équiper son poulain rouge. Il le ferra d’acier poli, il le brida et lui jeta une housse légère sur le dos. Puis, il lui attacha un anneau au cou et un ruban de velours la queue. Alors, il monta sur son dos et partit pour la fête. Comme il arrivait au champ de fête, les cornes sonnaient, la foule était pressée et tous les chevaux hennissaient d’impatience. On entendit un héraut qui annonçait à haute et claire voix : « Celui qui aura franchi la grande barrière du champ de fête au galop, en un bond vif, franc et parfait, aura pour épouse la fille du roi ! » Aussitôt, tous les jeunes gens qui étaient venus la fête se rassemblèrent sur la ligne de départ. Éven les rejoignit. Son jeune poulain rouge hennit fortement, bondit et s’emporta, souffla du feu par les naseaux, jeta des éclairs par les yeux et frappa la terre du pied. Ce fut une course folle. Éven eut tôt fait de dépasser tous les autres et de franchir la barrière d’un seul bond. Tout le monde admira la prestance du jeune homme et la souplesse de son poulain rouge. Il alla s’incliner devant le roi.
« Seigneur, dit-il, il me semble que j’ai accompli ce que tu demandais. Puisque tu t’y es engagé par serment, tu dois me donner ta fille Aliénor. » Le roi fronça les sourcils, car il connaissait bien Éven et savait qu’il était pauvre et de basse extraction. De plus, on murmurait dans le pays que sa grand-mère avait le don de double vue et qu’elle jetait des sorts. Il répondit : « Tu n’auras point ma fille Aliénor, ni toi ni aucun de tes semblables. Ce n’est pas un sorcier que je veux pour mari à ma fille, mais un bon et loyal chevalier possédant de belles terres et capable de beaux exploits. » Ayant prononcé ces paroles, le roi se leva ; il se préparait à quitter l’assemblée quand un vieil homme, qui se trouvait là, qui avait une barbe blanche au menton, plus blanche que la laine sur les buissons de la lande, portant une robe galonnée d’argent, qui était assis à sa droite, se leva lui aussi et lui parla à l’oreille. Le roi se mit à réfléchir, puis, revenant en arrière, frappa trois coups de son sceptre sur une table, si bien que tout le monde fit silence. « Écoute, dit-il au jeune homme : je veux bien te donner ma fille, mais à une condition, c’est que tu m’apportes la harpe de Merlin, qui est tenue par quatre chaînes d’or fin. Elle est suspendue au chevet du lit de Merlin, mais personne ne sait où est Merlin. Si tu m’apportes cette harpe, et si tu peux la détacher, alors tu auras peut-être ma fille. »
Le jeune homme revint chez lui en pleurant. « Que vais-je devenir ? se demandait-il. Depuis que j’ai vu la fille du roi, j’en suis devenu amoureux à en mourir. Et voici que le roi, revenant sur sa parole, m’oblige à accomplir une action impossible ! D’abord, je ne sais pas où se trouve Merlin, et personne ne pourra me le dire, et ensuite, je ne pourrai jamais détacher la harpe qui est fixée au mur de sa chambre avec quatre chaînes d’or fin. » Il alla voir sa grand-mère et lui raconta ce qui s’était passé. La vieille femme lui dit : « Je t’avais prévenu. Il n’était pas bon pour toi d’aller à la fête du roi et de participer à cette course. Tu étais parti en chantant et tu reviens en pleurant. Si tu avais suivi mon conseil, ton cœur ne serait pas brisé ! – Ma bonne grand-mère,
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