Lancelot du Lac
si tu m’aimes, dis-moi ce que je dois faire ! – Mon pauvre enfant, ne pleure pas. Je vais t’indiquer le chemin qu’il faut suivre pour aller jusqu’à l’endroit où dort Merlin, plongé dans un profond sommeil, à cause de Viviane, la femme qu’il aime d’un amour éperdu, et je vais te donner un marteau d’or. C’est un marteau magique avec lequel tu pourras détacher la harpe. Rien ne résonne sous les coups de ce marteau-là, et personne ne saura que tu t’es introduit dans l’antre de Merlin. »
Éven sella son poulain rouge et partit, le cœur empreint de tristesse et d’espoir. Peu de temps après, alors que le roi tenait conseil, on entendit un grand brouhaha. Le roi s’informa. C’était le jeune Éven qui entrait dans la salle, tenant entre ses bras la harpe d’or de Merlin. « Seigneur roi, dit-il, bonheur et joie en ce palais. Selon ton vœu, me voici revenu avec ce que tu m’as demandé. Voici la harpe de Merlin, avec laquelle le barde chantait si merveilleusement ! » Le roi fut bien étonné, et il se disposait à rabrouer l’impudent jeune homme qui osait le défier, quand son fils aîné lui parla tout bas à l’oreille. Le roi, après avoir écouté son fils, revint vers le jeune homme et lui dit : « Tu as bien agi, me semble-t-il, mais ta mission n’est pas terminée. Si tu veux obtenir ma fille, et puisque tu sais où se trouve Merlin, je veux que tu m’apportes son anneau, cet anneau qu’il porte à la main droite et que lui a donné le roi Arthur. Si tu reviens ici avec l’anneau de Merlin, je te donnerai ma fille, j’en prends à témoin tous ceux qui sont rassemblés autour de nous. »
Le jeune homme s’en revint chez lui en pleurant. « Mon enfant, mon enfant, lui dit sa grand-mère, ne t’avais-je pas conseillé de ne pas aller à la fête du roi ? Si tu étais resté ici, tu n’aurais pas un tel chagrin ! – Le seigneur roi n’a pas tenu parole, dit le jeune homme, et il veut maintenant que j’aille dérober l’anneau d’or que porte Merlin à la main droite et que lui a remis le roi Arthur. Je ne pourrai jamais le lui enlever sans qu’il s’éveille ! » La grand-mère répondit : « Allons, mon enfant, ne te désespère pas ainsi. Tu vas prendre un rameau qui est dans ce petit coffre, là où il y a déjà douze petites feuilles. J’ai mis sept nuits, il y a sept ans, dans sept forêts, à chercher ces douze feuilles et ce rameau. Prends le rameau et, cette nuit, quand tu entendras chanter le coq en pleine obscurité, tu monteras sur ton poulain rouge et tu te laisseras guider par lui. N’aie point peur : Merlin le Barde ne s’éveillera pas et tu pourras ôter l’anneau d’or qu’il porte à son doigt. »
Le coq chanta au milieu de la nuit. Éven bondit hors de son lit, s’habilla et se précipita sur le dos du poulain rouge qui s’élança à travers la forêt. Et l’on dit que le coq n’avait pas fini de chanter que l’anneau d’or avait été enlevé du doigt de Merlin.
Au matin, dans la jeunesse du jour, le jeune homme se trouvait près du roi, et le roi, en voyant qu’il tenait l’anneau dans sa main, demeura debout, stupéfait. Et tous ceux qui l’entouraient n’en croyaient pas leurs yeux. « Voilà que ce jeune homme a gagné la fille du roi ! » murmurait-on alentour. Mais le roi ne dit rien. Il sortit hors de la salle, avec pour seule compagnie son fils aîné et le vieillard à la barbe blanche comme de la laine. Puis ils revinrent tous les trois, le roi au milieu, le fils à sa droite, le vieillard à sa gauche. Et le roi dit à Éven : « Il est vrai, mon fils, que tu as obtenu ma fille. Elle sera donc ta femme. Mais je vais encore te demander une chose. Ce sera la dernière. Si tu peux accomplir cette chose, tu seras le vrai gendre du roi : tu auras ma fille, et, en plus, tu auras tout le pays de Léon, je le jure sur la mémoire de mes ancêtres. Il te suffit d’amener Merlin ici afin qu’on célèbre le mariage en sa présence ! »
Le jeune homme revint encore une fois chez lui en pleurant. « Je te l’avais bien dit qu’il ne fallait pas aller à la fête du roi ! » s’écria la grand-mère en le voyant arriver. Il lui expliqua ce que le roi lui avait demandé. « Ne t’inquiète pas, dit-elle, et va-t’en à la chasse. Je ferai ce qu’il faudra pendant ce temps. » Et la vieille prit avec elle un bâton fourchu, ainsi qu’une pierre qu’elle sortit de son petit coffre.
Weitere Kostenlose Bücher