Lancelot du Lac
Elle s’en alla à pied à travers la forêt et aperçut bientôt un vagabond qui semblait vouloir s’écarter de son chemin. « Merlin ! s’écria-t-elle. D’où viens-tu donc avec tes habits en lambeaux ? Où vas-tu donc, tête nue et pieds nus, avec ton bâton de houx et sans ton loup gris ? » L’autre lui répondit : « Je vais chercher ma harpe, consolation de mon cœur en ce monde ; je vais chercher ma harpe et mon anneau d’or que j’ai perdus ! – Merlin, ne te chagrine pas : ta harpe n’est pas perdue, ni ton anneau d’or que t’a donné le roi Arthur ! Viens jusqu’à ma demeure et entres-y pour manger un morceau, car tu en as bien besoin ! – Je ne cesserai pas de marcher et je ne mangerai rien avant d’avoir retrouvé ma harpe et mon anneau d’or. – Merlin, si tu veux retrouver ta harpe et ton anneau d’or, il faut que tu viennes avec moi jusqu’à ma demeure. » Et la vieille femme se fit si pressante que Merlin la suivit.
Le soir, Éven revint de la chasse, le cœur gros et les jambes fatiguées. Il ne ramenait aucun gibier et il avait perdu son temps à parcourir les essarts sans rencontrer un seul animal. Il entra dans le manoir de sa grand-mère et tressaillit d’épouvante en jetant les yeux sur le foyer : il y vit en effet le vieux Merlin assis, la tête penchée sur sa poitrine. À cette vue, il se mit à trembler de peur et se prépara à s’enfuir. « Tais-toi, mon enfant, dit la vieille femme, et ne t’effraie pas : il dort d’un profond sommeil, car il a mangé trois pommes rouges que je lui ai cuites sous la cendre. Il a mangé mes pommes et, maintenant, il nous suivra partout où nous voudrons qu’il aille ! »
Ce matin-là, la reine, en s’éveillant, demanda à l’une de ses servantes : « Qu’est-il arrivé dans cette ville ? Quel est donc le bruit que j’entends ? Quand j’ai ouvert les yeux, j’ai vu que les colonnes de mon lit tremblaient et j’ai entendu la foule pousser des cris de joie ! » La servante lui répondit : « C’est que toute la ville est en fête parce que Merlin entre dans le palais. Il y a avec lui une vieille femme toute vêtue de blanc, et aussi celui qui sera bientôt ton gendre ! » Le roi entendit ce que disait la servante et se précipita à la fenêtre ; il ne pouvait en croire ses yeux : ainsi donc, le jeune Éven avait réussi à retrouver Merlin et à le faire venir à la cour ! Le roi fit appeler son crieur et lui dit : « Va vite publier par le pays que tous ceux qui le voudront viennent aux noces de ma fille et du seigneur Éven. Annonce que c’est Merlin en personne qui sera le témoin de mon gendre. Invite les gentilshommes de toute la Bretagne, et aussi les juges, les gens d’Église et les chevaliers, les pauvres gens comme les riches. Dépêche-toi, messager, et répands la nouvelle partout dans le pays ! »
Le messager partit immédiatement : « Faites silence, vous tous, faites silence, si vous avez deux oreilles pour entendre ! Je vous annonce les noces de la fille du roi ! Y vienne qui voudra dans les huit jours, gentilshommes, juges, gens d’Église et chevaliers, les riches et les pauvres ! Qu’ils sachent tous que ni or ni argent ne leur feront défaut. Il ne leur manquera ni viandes, ni pain, ni vin, ni hydromel à boire, ni escabelles pour s’asseoir, ni serviteurs pour leur apporter les plats. Il sera tué deux cents porcs et autant de bœufs gras, deux cents génisses et cent chevreuils de chacun des bois du pays. Il y aura cent robes de laine blanche pour les prêtres, et cent colliers d’or pour les beaux chevaliers, une salle remplie de manteaux bleus de fête pour les demoiselles, et huit cents braies neuves pour les pauvres gens, sans compter cent musiciens, sur leurs sièges, faisant de la musique nuit et jour sur la grande place, entourant le barde Merlin qui est venu célébrer les noces de la fille du roi ! »
De l’avis général, jamais mariage ne fut célébré avec autant d’éclat dans le pays. Les fêtes durèrent trois jours et trois nuits, et tous ceux qui y avaient assisté repartirent, chargés de riches présents, avec le congé et la protection du roi. Quant à Éven, il partit pour le Léon avec sa jeune épouse, le cœur plein d’une joie intense. Seul le roi n’était pas satisfait et demeurait lugubre dans un coin du palais. Car, immédiatement après la fête, Merlin avait disparu sans qu’on pût savoir où il était allé.
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