L'ange de la mort
passait dans le sanctuaire. L’autel était au centre d’un cercle de lumière ; prêtres, évêques, abbés, servants laïcs, serviteurs attachés à cette cathédrale merveilleuse, tous se concentraient sur la célébration de la grand-messe. Les louanges chantées par le choeur prirent fin, la voix fluette et haut perchée de Walter de Montfort entonna la longue et solennelle prière de la consécration. Corbett réprima son impatience. Il savait que cet office n’était qu’une façade et que le vrai débat politique commencerait après. Édouard d’Angleterre avait besoin d’argent, et voulait des fonds pour lutter contre Philippe de France et écraser la rébellion écossaise. Il avait accablé d’impôts paysans et marchands, vendu privilèges et propriétés pour remplir ses coffres et financer ses guerres. Maintenant, c’était le tour de l’Église.
En guise de soutien, Édouard avait rassemblé tous les membres de son parlement ou presque dans la cathédrale, et ils étaient là, masse d’hommes en sueur qui allaient suivre la messe, se réconcilier avec Dieu, communier et se donner le baiser de paix. Puis on en viendrait aux choses sérieuses. Corbett était mal à l’aise et avait de la peine à rester immobile. Assis sur son tabouret inconfortable, il serra plus étroitement sa cape autour de lui. Il faisait un froid de loup ; janvier 1299, songea-t-il, resterait dans les mémoires à cause des terribles tempêtes de neige qui avaient ravagé le pays. À l’extérieur de la cathédrale, il y avait deux ou trois pieds de neige balayée par une bise féroce qui s’infiltrait par les fentes des portails et sifflait dans la nef en faisant frissonner les fidèles et vaciller la flamme des cierges. Corbett s’en voulut d’avoir des pensées aussi terre-à-terre alors que la messe s’acheminait vers le moment crucial de la consécration, lorsque le célébrant prendrait le pain et le vin et les changerait en corps et sang du Christ en prononçant les paroles rituelles. Corbett se frappa doucement la poitrine en murmurant :
— Miserere ! Miserere !
Ranulf renifla à nouveau, se moucha sur la manche de son surcot et jeta un regard en biais à Corbett en espérant que ce dernier remarquerait cette nouvelle insulte. Ranulf aimait bien son maître, mais ne l’aurait jamais avoué, saisissant au contraire la moindre occasion d’agacer, de troubler ou d’inquiéter cette nature sérieuse et plutôt austère.
À cet instant, pourtant, Corbett avait l’esprit ailleurs : il réfléchissait au problème majeur du roi, à savoir la banqueroute. Deux ans auparavant, le monarque avait dévalué la monnaie et commencé à augmenter les impôts, à chaque séance de parlement, avant d’envoyer ses collecteurs ratisser comtés et bourgs pour percevoir son dû. Ses besoins financiers étaient constants : il était en guerre avec la France pour essayer de sauver la Guyenne des griffes de Philippe IV. Il venait, en outre, de réprimer un grave soulèvement dans les Galles du Sud, sans compter que, l’année précédente, il avait mis à sac Berwick et soumis les rebelles écossais, Balliol entre autres. Et pourtant les troubles en Écosse ne cessaient pas. On avait appris en Angleterre l’existence d’un nouveau chef de guerre, un roturier nommé William Wallace qui attisait les braises de l’agitation en lançant des attaques rapides, la nuit, sur des garnisons isolées et sur des détachements de troupes, et qui ne manquait pas une occasion de combattre et de harceler l’occupant anglais.
L’argent étant le nerf de la guerre, Édouard avait emprunté auprès des banquiers italiens, les Frescobaldi, mais ces derniers refusaient de continuer leurs prêts. Il s’était donc tourné vers l’Église, grasse vache à lait qu’il rêvait de dépouiller d’une partie de ses richesses. Il avait pris à son compte la décime {5} levée autrefois par le précédent pape, Nicolas IV, qui avait nourri l’idée grandiose d’unir la chrétienté pour reprendre la lutte contre les Turcs. Édouard s’était avec enthousiasme rallié à ce projet de croisade, mais avait mis la main sur l’argent récolté. Il s’était ensuite tourné vers les prieurés étrangers, les maisons appartenant à des ordres religieux établis hors d’Angleterre, et avait saisi leurs revenus et bénéfices {6} . Corbett avait joué un rôle important dans la confiscation de ces biens ecclésiastiques en passant au
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