L'Anneau d'Atlantide
Venise. Solitude relative d’ailleurs, puisque vivaient à demeure au palais Morosini le discret et charmant Guy Buteau, jadis précepteur d’Aldo et à présent son fondé de pouvoir et son meilleur conseiller, Zaccharia, son vieux maître d’hôtel, Livia, la cuisinière, élève surdouée de la regrettée Cecina, défunte épouse de Zaccharia morte au champ d’honneur de son dévouement aux Morosini, Prisca, première femme de chambre, et Zian, le gondolier-chauffeur. Angelo Pisani, le secrétaire d’Aldo, et les autres satellites logeaient en ville.
En principe, Guy Buteau était lui aussi invité chez le notaire, mais il avait pris un bain de pieds involontaire en ratant une marche de l’entrée principale et, fragile des bronches, se trouvait confiné à l’intérieur depuis déjà une semaine. C’est donc seul qu’Aldo suivit le chemin du retour à travers les rues d’une Venise hivernale désertée par les touristes, ce qui n’était pas pour lui déplaire… Il aimait en effet marcher dans « sa » ville dont il connaissait chaque ruelle, chaque recoin, chaque demeure. Il pouvait mettre un nom sur chaque façade. Venise était pour lui un grand livre ouvert dont il ne se lassait jamais de tourner les pages.
Ce soir, pourtant, il se sentait moins sensible à la magie habituelle, justement à cause de cette humeur morose qu’il traînait derrière lui depuis qu’il avait quitté Vienne. Non qu’il se plût particulièrement au palais Adlerstein, vaste et sombre résidence gardée par des atlantes de pierre aux muscles athlétiques sur laquelle régnait Joachim, l’irritant majordome de Grand-Maman auquel le liait une aversion largement partagée, mais si les affaires toujours importantes de sa maison de prestigieuses antiquités occupaient largement son temps et celui de Guy Buteau, il n’y trouvait plus le plaisir coutumier et, se connaissant bien, il s’avouait, avec un rien de honte, qu’il lui manquait le piment de l’aventure, celle-ci courût-elle sur le fil du rasoir entre deux précipices comme cela s’était produit à plusieurs reprises.
Certes, il aimait toujours autant son métier : acheter de beaux objets ou de belles pierres, les revendre à qui saurait les apprécier. Parfois il les gardait pour sa collection personnelle, mais les joyaux historiques se faisaient rares, surtout ceux auxquels s’attachait une légende. Ses plus violentes émotions, il les avait cependant connues dans la chasse au trésor – le plus souvent maléfique d’ailleurs – en compagnie d’Adalbert Vidal-Pellicorne, le « plus que frère » ! selon Lisa et Tante Amélie, alors que la vie de l’un, de l’autre ou des deux était menacée. Le jeu passionnant prenait alors un air de roulette russe particulièrement excitant, même si on sortait de l’aventure à moitié mort en se jurant de ne jamais, au grand jamais, se laisser emporter à nouveau par quelque mirage que ce soit ! Aujourd’hui où son existence se déroulait sans surprises, où il se mouvait dans un calme olympien, Aldo découvrait qu’il s’était agi de serments d’ivrogne. Quoi de mieux pour fouetter le sang qu’un joyau rare, chargé d’histoire, pour faire battre le cœur sur un rythme accéléré… et se sentir pleinement vivant ! Un point de vue qu’il jugeait plus sage de garder pour lui et que Lisa partageait de moins en moins.
En ce mois de janvier, ceux qu’elle appelait « son gang » étaient dispersés. Adalbert, en bon égyptologue, devait être quelque part dans la vallée du Nil ou dans les monts de Nubie. La marquise de Sommières – Tante Amélie – nantie de son fidèle bedeau, Marie-Angéline du Plan-Crépin, sa cousine et lectrice à tout faire, respirait le soleil d’un pays méditerranéen comme il convenait à une octogénaire, en pleine forme sans doute mais soucieuse de se protéger des rhumatismes. On aurait une carte postale un de ces jours, griffonnée mélancoliquement par ladite Marie-Angéline qui – Aldo en était persuadé ! – regrettait au moins autant que lui ces mêmes aventures auxquelles elle se mêlait non sans talent et qu’elle estimait essentiellement vivifiantes.
Venise était étrangement silencieuse ce soir sous le croissant de lune plaqué sur un ciel sans nuages. Pour chasser ses idées lugubres, Aldo s’ébroua comme un chien au sortir de l’eau et alluma
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