L'arc de triomphe
que tu l’admets ! Alors pourquoi viens-tu, aujourd’hui, me lancer tout cela au visage ? Pourquoi ne le faisais-tu pas l’autre soir ? Je le sais, c’est qu’alors…
– Jeanne », dit Ravic.
Elle se tut. Elle le regarda la poitrine soulevée par sa respiration rapide.
« Jeanne, cette nuit-là, quand tu es venue, j’ai cru que tu me revenais pour de bon. Tu étais là, c’était suffisant. Mais je me trompais. Tu n’étais pas revenue.
– Je n’étais pas revenue ? Comment peux-tu le dire ? Ce n’était tout de même pas un fantôme qui est entré dans ta chambre !
– Oui, tu es venue me trouver. Mais tu ne m’es pas revenue.
– Tu es trop compliqué pour moi. Je ne vois pas de différence.
– -C’est moi qui ne voyais pas de différence. Je la vois aujourd’hui. Tu vis avec quelqu’un d’autre.
– J’ai quelques amis, donc je vis avec quelqu’un ! Il faudrait peut-être que je m’enferme toute la journée et que je ne parle à personne, afin que personne ne puisse dire que je vis avec quelqu’un.
– Jeanne, dit Ravic, ne sois pas ridicule !
– Ridicule ? Qui est ridicule ? C’est toi qui es ridicule !
– Comme tu voudras. Va-t-il falloir que j’use de la force pour que tu me laisses passer ? »
Elle ne bougea pas.
« Et si je suis avec quelqu’un, est-ce que ça te regarde ? Tu as dit toi-même que tu ne voulais pas le savoir.
– Soit. Je ne voulais vraiment pas le savoir. Je croyais que c’était fini. Le passé ne me regardait pas. Mais je me trompais. J’aurais dû être moins bête. Je suppose que je cherchais à me tromper moi-même. J’étais faible. Mais tout ça ne change rien.
– Pourquoi cela ne change-t-il rien ? Quand tu admets toi-même que tu t’es trompé ?
– Il ne s’agit pas de se tromper ou de ne pas se tromper. Non seulement tu vivais avec quelqu’un, mais tu vis encore avec lui, et tu entends ne pas le laisser. Ça, je ne le savais pas, alors.
– Ne cherche pas à mentir ! s’exclama-t-elle. Tu le savais dès le début. Même ce soir-là ! »
Elle le fixait, droit dans les yeux.
« Soit, mettons que je le savais. Mais je ne voulais pas le savoir. Je le savais, mais je ne le croyais pas. Tu ne pourrais pas comprendre. Ces choses-là n’arrivent pas aux femmes. Et puis, tout ça n’a rien à voir. »
Le visage de Jeanne fut soudain rempli d’une peur sauvage et désespérée.
« Je ne peux tout de même pas mettre à la porte quelqu’un qui ne m’a jamais fait le moindre mal… Simplement parce que tu reviens subitement ! Tu ne comprends donc pas ?
– Si », dit Ravic.
Elle était comme un chat acculé dans un coin, qui voudrait bondir et qui sentirait le sol se dérober sous lui.
« Tu comprends ? » dit-elle surprise. Le regard se détendit. Les épaules tombèrent. « Alors pourquoi t’amuses-tu à me torturer, si tu comprends ?
– Va, il est inutile que tu restes plus longtemps devant la porte. »
Ravic s’assit dans un des fauteuils qui étaient moins confortables qu’ils ne le paraissaient. Et comme Jeanne hésitait :
« Je ne me sauverai pas, maintenant. »
Elle revint lentement vers lui, et se laissa tomber sur le divan. Elle faisait semblant d’être épuisée de fatigue, mais Ravic voyait parfaitement qu’il n’en était rien.
« Donne-moi quelque chose à boire », dit-elle.
Il se rendait compte qu’elle cherchait à gagner du temps. Peu lui importait.
« Où sont les bouteilles ? demanda-t-il.
– Là, dans le cabinet. »
Ravic ouvrit la porte du meuble bas. Il trouva quelques bouteilles. La plupart contenaient de la crème de menthe. Il les considéra avec un certain dégoût et les écarta. Dans le coin opposé, il trouva un flacon de Martell à demi plein et une bouteille de calvados qui n’était pas débouchée. Il prit la bouteille de cognac.
« Tu bois de la crème de menthe, maintenant ? dit-il par-dessus son épaule.
– Non, répondit-elle sans bouger.
– Je t’apporte du cognac.
– Il y a du calvados, dit Jeanne. Débouche la bouteille.
– Le cognac suffira.
– Non, ouvre le calvados.
– Une autre fois.
– Je ne veux pas du cognac, je veux du calvados. Je t’en prie, débouche le flacon. »
Ravic revint vers le petit cabinet. À droite, il y avait la crème de menthe pour l’autre… et à gauche le calvados pour lui. Tout était si bien ordonné, si « petit bourgeois »,
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