L'arc de triomphe
qu’il en fut presque attendri. Il déboucha la bouteille de calvados. Après tout, pourquoi pas ? Le symbole n’était-il pas joli ? Leur boisson favorite dégradée dans cette absurde scène d’adieux. Il prit deux verres et revint vers la table. Jeanne le regarda tandis qu’il versait.
Au-delà de la fenêtre, l’après-midi rayonnait de sa lumière dorée. Les rayons étaient plus colorés maintenant, cependant que le ciel avait pâli. Ravic regarda sa montre. Il était plus de trois heures. Il crut d’abord que la montre s’était arrêtée ; mais non, l’aiguille des secondes, comme une petite flèche dorée, continuait sa course autour du cadran. En réalité, il n’était là que depuis une demi-heure. « De la crème de menthe ! songea-t-il. Quel goût ! »
Jeanne était pelotonnée sur le divan bleu.
« Ravic, dit-elle d’une voix douce et fatiguée. Dis-tu vrai, quand tu dis que tu comprends ?
– Mais oui, c’est vrai !
– Tu comprends ?
– Oui.
– J’en étais sûre. »
Elle sourit.
« J’en étais sûre, Ravic.
– C’est très facile à comprendre.
– Il me faut du temps, tu vois. Je ne peux pas le faire tout de suite. Il ne m’a jamais fait de mal. Et je ne savais pas si tu allais revenir. Je ne peux pas rompre tout de suite. »
Ravic avala une gorgée de calvados.
« À quoi bon tous ces détails ?
– Il faut que tu saches. Il faut que tu comprennes que… J’ai besoin de temps. Il… tiens, je ne sais pas ce qu’il ferait. Il m’aime. Et il a besoin de moi. Et puis, il n’est pas à blâmer, dans toute cette affaire.
– Bien sûr. Prends tout le temps qu’il te faut, Jeanne.
– Non, un peu de temps seulement. Je ne peux pas tout de suite. »
Elle s’appuya en arrière sur un coussin. Elle ajouta :
« Et cet appartement, Ravic… ce n’est pas ce que tu penses. Je gagne de l’argent. Plus qu’avant. Il m’a aidée. C’est un acteur. Je joue de petits rôles au cinéma. C’est lui qui m’a obtenu cela.
– C’est-ce que je pensais.
– Je n’ai pas grand talent, dit-elle. Je ne me fais pas d’illusions. Mais je ne voulais plus travailler dans les boîtes de nuit. On ne parvient à rien. Tandis que dans ce que je fais, il y a de l’avenir. Je veux être indépendante. Tu trouves probablement que je suis ridicule…
– Non, dit Ravic. C’est très raisonnable. »
Elle le regarda.
« N’est-ce pas justement dans cette intention que tu étais d’abord venue à Paris ? demanda-t-il.
– Si. » « Et la voilà, songeait-il, dans le rôle de l’innocente doucement réprobatrice, qui a été maltraitée par la vie et par moi. Elle est calme, le premier orage est passé ; elle va me pardonner, et si je ne pars pas bientôt, elle va me conter l’histoire de ces derniers mois dans tous les détails ; cette orchidée d’acier avec laquelle j’étais venu rompre, et dont l’adresse me force presque à admettre qu’elle a raison. »
« C’est très bien, Jeanne, dit-il. Maintenant que tu en es là, ton avenir se dessine. »
Elle se pencha en avant.
« Tu crois ?
– Certainement.
– Vraiment, Ravic ? »
Il se leva. Trois minutes de plus et il lui faudrait se mettre à parler cinéma. « Il ne faut jamais discuter avec elles, pensa-t-il. On finit toujours par être perdant. Elles pétrissent la logique comme de la cire. Il vaut mieux agir, et en finir. »
« Ce n’est pas ce que je voulais dire, corrigea-t-il. Pour cela, il vaut mieux que tu consultes ton expert.
– Tu t’en vas déjà ?
– Oui, il le faut.
– Pourquoi ne restes-tu pas ?
– Je dois retourner à la clinique. »
Elle lui prit une main et le regarda.
« Tu m’avais dit que tu avais fini ton travail. »
Il se demanda s’il devait lui dire qu’il ne reviendrait plus. Mais il en avait assez pour aujourd’hui. Cela suffirait pour lui et pour elle. Elle était parvenue à empêcher cela. Mais le jour viendrait tout de même !…
« Reste, Ravic, dit-elle.
– Je ne peux pas. »
Elle se leva et vint s’appuyer contre lui. Ça aussi, pensa-t-il. Toute la gamme. Le vieux stratagème qui réussit si souvent. Elle n’oublie rien. Il se dégagea.
« Il faut que je retourne. Un de mes patients est mourant.
– Les médecins ont toujours de bonnes raisons, dit-elle lentement en le fixant.
– Tout comme les femmes, Jeanne. Nous sommes les contremaîtres de la mort, comme
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