L'arc de triomphe
visages lui étaient ainsi légèrement familiers… C’était une de ces filles gracieuses, dont le plus grand charme est de paraître sans défense.
« Vous ne me reconnaissez pas ? demanda-t-elle.
– Bien sûr », dit Ravic.
Il ignorait absolument qui elle était.
« Comment allez-vous ?
– Oh ! Ça va. Mais je vois bien que vous ne me remettez pas.
– J’oublie facilement les noms. Mais je sais que je vous connais. Il y a longtemps que je ne vous ai vue.
– Oui. – Vous aviez fait une rude peur à Bobo. » Elle sourit. « Vous m’avez sauvé la vie, et maintenant, vous ne me reconnaissez même pas. »
Bobo… sauvé la vie… la sage-femme… Ravic se souvenait, maintenant.
« Vous êtes Lucienne, dit-il. Bien sûr, je me rappelle. Vous étiez malade. Aujourd’hui, vous ne l’êtes plus. C’est pour ça que je ne vous ai pas reconnue tout de suite. »
Lucienne était rayonnante.
« Sans blague ! Vous vous souvenez ! Je vous remercie encore pour les cent francs que vous avez obtenus de la sage-femme.
– Ah… Ah ! Oui. »
Il se souvint qu’après son échec avec M me Boucher il lui avait envoyé quelque chose de sa poche.
« Je regrette qu’elle n’ait pas rendu toute la somme.
– Cela suffisait, je ne comptais vraiment sur rien du tout
– Voulez-vous prendre quelque chose avec moi, Lucienne ? »
Elle fit signe que oui, et s’assit timidement près de lui.
« Un Cinzano avec soda.
– Comment vont les affaires, Lucienne ?
– Ça va très bien.
– Toujours avec Bobo ?
– Oui, naturellement. Mais il est différent maintenant. Il est mieux.
– Je suis content. »
Il n’y avait pas grand-chose à demander. La petite couturière était devenue marchande d’amour. C’était pour ça qu’il l’avait guérie. Bobo s’était chargé du reste. Elle n’avait plus à craindre d’avoir des enfants. Raison de plus. Elle en était encore à ses débuts. Son air puéril attirait encore les vieux satyres… Une pièce de porcelaine à laquelle un usage trop prolongé n’avait pas encore enlevé tout son lustre. Elle buvait avec précaution, comme un oiseau ; mais déjà ses yeux erraient. Ce n’était pas particulièrement réjouissant, ni particulièrement attristant. Simplement un fragment de vie à la dérive.
« Vous êtes satisfaite ? » demanda-t-il.
Elle fit signe que oui. Il comprit qu’elle l’était réellement. Tout lui paraissait en bon ordre. Il n’y avait rien qui pût causer des drames.
« Êtes-vous seul ? questionna Lucienne.
– Oui.
– Par une soirée comme celle-ci ?
– Oui. »
Elle lui lança un regard intimidé, puis elle sourit.
« J’ai du temps… » dit-elle.
« Mais qu’est-ce que j’ai donc ? se demanda Ravic. Ai-je l’air tellement affamé, que toutes les prostituées viennent m’offrir un peu d’amour commercial ? »
« Vous habitez trop loin, Lucienne. Je n’ai que très peu de temps.
– Oh ! Nous ne pourrions pas aller chez moi. Il ne faudrait pas que Bobo le sache.
– Comment, Bobo n’est au courant de rien ?
– Si, pour les autres. C’est lui qui tient les comptes ». Elle sourit.
« Il est tellement jeune. Il s’imagine qu’autrement je ne lui donnerais pas l’argent.
– Et c’est pour ça qu’il ne faudrait pas qu’il le sache ?
– Non. Pas pour ça. C’est parce qu’il serait jaloux. Et alors il devient enragé.
– Il est jaloux chaque fois ? »
Lucienne lui jeta un regard d’étonnement.
« Bien sûr que non, voyons. Les autres, c’est le business.
– Je vois. C’est seulement lorsque l’argent n’y est pour rien. »
Lucienne hésita un instant, puis elle rougit.
« Non, pas pour ça. Seulement s’il croit qu’il y a autre chose… que mes sentiments s’en mêlent. »
Elle ne releva pas la tête, Ravie prit la petite main qui semblait oubliée sur la table.
« Lucienne, dit-il, c'est très gentil à vous de vous être souvenue. Et aussi de vouloir venir avec moi. Vous êtes charmante et j'aimerais beaucoup vous emmener. Mais je n'ai jamais pu coucher avec les femmes que j'ai opérées. Comprenez-vous? »
Elle releva ses longs cils et fit signe que oui. Elle se leva.
« Je vais vous laisser, maintenant.
— Adieu, Lucienne. Bonne chance. Prenez garde de ne pas être malade.
— Oui. »
Ravic griffonna quelques mots sur une feuille de papier et la lui tendit.
« Tenez,
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