Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
Vom Netzwerk:
celle d’un terrain familier.
    Son œil fut attiré par quelque chose de blanc qui s’agitait. C’était un papillon, qui était probablement entré par la porte ouverte. Peut-être était-il venu des plates-bandes de roses des Tuileries, chassé de son lit parfumé par un couple d’amoureux, puis aveuglé par ces lumières, qui étaient autant de soleils inconnus, innombrables et troublants. Il s’était engouffré dans l’entrée, dans le noir accueillant qui était au-delà des portes, et il voletait maintenant, perdu mais courageux, dans l’immense salle où il allait mourir, où épuisé, il se reposerait et dormirait sur une corniche de marche, sur un appui de fenêtre, ou tout là-haut, sur l’épaule de la radieuse déesse. Au matin, il chercherait des fleurs, la vie, le miel léger des roses, et ne les trouverait pas. Et puis, affaibli, il s’endormirait de nouveau sur le marbre millénaire jusqu’au moment où l’étreinte de ses pattes délicates et tenaces se relâcherait, et où il tomberait, comme une feuille d’automne prématurée.
    « Sentimentalité, pensa Ravic. La déesse de la victoire et le papillon réfugié. Un symbole vulgaire ! Mais qu’est-ce qui nous touche plus que les choses vulgaires, les symboles vulgaires, la sentimentalité vulgaire ? Et qu’est-ce qui les rend vulgaires ? La vérité nue qu’ils contiennent. Le snobisme disparaît lorsqu’il s’agit de vie ou de mort. »
    Le papillon avait disparu dans la demi-obscurité du dôme. Ravic quitta le Louvre. Dehors, l’air chaud l’enveloppa comme un bain tiède. Il s’arrêta. Sentiments vulgaires ? N’était-il pas lui-même la proie du plus vulgaire de tous ? Il dirigea son regard vers la vaste cour où semblent rêver des ombres séculaires, et il eut soudain la sensation d’être assailli à coups de poings par d’innombrables adversaires. Il faillit chanceler sous le choc. Le spectre de la blanche Niké, prête au vol, était toujours devant ses yeux ; mais derrière, un autre visage émergeait de l’ombre, un visage vulgaire, sans valeur, mais auquel son imagination s’était prise comme se prendrait un voile indien sur un rosier épineux. Il essaya de se dégager, mais les-épines tenaient bon, elles tenaient la soie et les fils d’or. Le voile et l’arbre étaient si bien noués que déjà il était impossible de distinguer clairement les branches épineuses du tissu chatoyant.
    Un visage ! Un visage ! Qui donc demandait s’il était vulgaire ou précieux ? S’il était unique, ou s’il se trouvait partout ? On pouvait poser des questions avant, mais, une fois pris, on ne pouvait plus. On était emprisonné par l’amour… Et non par celle qui par hasard porte son nom. Qui pouvait encore juger, alors qu’il était déjà aveuglé par les flammes de l’imagination ? L’amour ne reconnaît pas de valeurs.
    Le ciel était bas. Par instants, des éclairs silencieux découpaient dans la nuit la silhouette lourde des nuages sulfureux. La chaleur, avec ses milliers d’yeux sans regard, s’appesantissait sur les toits. Ravic marchait le long de la rue de Rivoli. Les vitrines ruisselaient de lumière sous les arcades. La cohue continuait à se bousculer. Les voitures semblaient une procession d’images clignotantes. Me voici, pensa-t-il, un entre des milliers, passant lentement devant ces vitrines remplies du toc brillant de choses précieuses, les mains dans les poches, un promeneur comme les autres… Et pourtant, mon sang bouillonne en moi, et dans le labyrinthe gris de cette matière informe et palpitante qu’on appelle le cerveau, un combat se livre, une bataille invisible, qui me fait perdre la notion du réel et de l’irréel. Je sens des bras qui me touchent, des corps qui me frôlent, des yeux qui m’observent, j’entends les voitures, les voix, tout le tumulte de la réalité tangible, je suis au centre de tout cela, et cependant, je suis plus éloigné que la lune, sur une planète qui ne connaît plus la logique ni les faits. Quelque chose en moi crie un nom, sachant qu’il n’est pas le vrai, mais le criant quand même à tue-tête ; le criant dans un silence qui existe depuis toujours, dans lequel tant de cris se sont perdus, et d’où nulle réponse n’est jamais venue. Et pourtant, ce quelque chose crie toujours, le cri de la nuit d’amour et de la nuit de mort ; le cri d’extase et celui de la conscience qui s’écroule, le cri de la jungle et du désert ;

Weitere Kostenlose Bücher