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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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et je connais peut-être des milliers de réponses, mais celle-là me dépasse, et je ne la connaîtrai jamais.
    L’amour ! Tout ce que ce mot voulait dire ! Depuis la plus douce des caresses de la chair jusqu’à la plus intangible exaltation de l’esprit, depuis le simple désir de posséder une famille jusqu’aux convulsions de l’agonie, depuis la passion insatiable jusqu’à la lutte de Jacob et de l’Ange. « Me voici, pensa Ravic, à plus de quarante ans, instruit par maintes écoles, plein d’expérience et de savoir, moi qui ai été terrassé et qui me suis relevé, qui ai passé au tamis des ans, qui suis devenu plus dur, plus exigeant, plus froid… Je ne l’ai pas voulu, je n’y croyais pas, il me paraissait impossible que cela se produisît de nouveau… Me voici avec toute cette expérience devenue inutile, ce savoir qui me rend mon mal plus aigu… Car rien ne brûle mieux, à la flamme des émotions, que le bois sec du cynisme. »
     
    Il marcha pendant des heures, et la nuit devint vaste et sonore ; il marcha sans but, inconscient des minutes ou des heures qui passaient, et il ne fut pas surpris de se retrouver dans les jardins qui s’étendent derrière l’avenue Raphaël.
    La maison de la rue André-Pascal, le contour à peine distinct des étages, où quelques fenêtres brillaient doucement. Il trouva celles du studio de Jeanne. Elles étaient éclairées. Jeanne était là. Peut-être était-elle sortie, en laissant les lumières allumées. Elle avait horreur de rentrer dans des pièces noires ; tout comme lui-même. Ravic marcha jusqu’à la rue. Quelques voitures stationnaient devant la maison. Un coupé jaune, une voiture ordinaire déguisée en voiture de course, attira son attention. C’était peut-être celle de l’autre. Une voiture bien faite pour un acteur. Des sièges de cuir rouge, un tableau de bord qui ressemblait à celui d’un avion, avec sa profusion d’instruments superflus… Oui, ce devait être la sienne ! Ravic se demanda s’il était jaloux. Jaloux de l’objet de hasard auquel elle s’était attachée ?
    Jaloux de quelque chose qui ne le concernait en rien ? On peut-être jaloux d’un amour qui s’est détaché, mais non pas de l’objet vers lequel cet amour s’est tourné. Il revint vers les jar dins. L’odeur des fleurs montait de l’obscurité, mêlée à celle de la terre et de la verdure. C’était l’odeur presque violente qui précède les orages. Il trouva un banc et s’assit. Ce n’est pas moi, pensa-t-il, cet amoureux attardé, assis sur un banc devant la maison de la femme qui l’a trahi, cet amoureux qui surveille ses fenêtres ! Ce n’est pas moi, cet être tordu par un désir que je peux disséquer, mais que je ne parviens pas à maîtriser. Ce n’est pas moi, ce fou qui donnerait des années de sa vie pour revenir en arrière, et retrouver la créature blonde qui lui murmurait des folies à l’oreille. Ce ne peut-être moi qui… Au diable toutes les feintes !… qui suis assis, jaloux, écrasé, misérable, et qui voudrais mettre le feu à cette voiture !
    Il alluma une cigarette. La petite lueur silencieuse, la fumée invisible. Pourquoi n’était-il pas monté ? Qu’aurait-il pu arriver ? Il n’était pas encore trop tard. La lumière brillait toujours. Il pourrait se rendre maître de la situation. Pourquoi ne la sortait-il pas de là ? Maintenant qu’il savait tout. La sortir de là, l’emmener avec lui, et ne plus jamais la laisser partir ?
    Ses yeux fouillaient l’obscurité. Qu’est-ce que cela donnerait ? Que pourrait-il faire ? Il ne pouvait pas jeter l’autre à la porte. On ne peut pas chasser un être du cœur d’un autre être. Pourquoi ne l’avait-il pas reprise, lorsqu’elle était venue à lui ? Pourquoi ?
    Il jeta sa cigarette. Parce que ça ne suffisait pas.
    Oui, c’était cela. Il voulait davantage. Ça ne suffirait pas, même si elle revenait ; même si tout le reste était oublié et noyé dans le passé ; ça ne suffirait plus jamais, plus jamais. Quelque chose n’avait pas marché. À un point quelconque, le rayon de son imagination n’avait pas frappé le miroir qui devait intensifier le rayon et le renvoyer en lui-même. Et maintenant, ce rayon était lancé dans la nébuleuse des désirs inassouvis, et rien ne pouvait plus le ramener, ni un miroir, ni mille miroirs. Ils n’en pourraient capter qu’une partie ; ils ne pourraient plus jamais le ramener ; il

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