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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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procurez-vous ceci, si vous n'en avez pas déjà. C'est ce qu'il y a de mieux. Et ne donnez pas tout votre argent à Bobo.
    Elle secoua la tête en souriant. Ils savaient tous les deux qu'elle le ferait tout de même. Ravic la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle eût disparu dans la foule. Puis il appela le garçon.
    La femme au chapeau bleu passa auprès de lui. Elle avait observé toute la scène. Elle s'éventait avec son journal. Elle lui dit avec un sourire qui découvrait ses fausses dents :
    « Ou bien t'es impuissant, ou alors, c'est que tu dois être une tapette. Bonne chance et merci encore. »
    Ravic marchait dans la nuit chaude. Des éclairs rapides passaient au-dessus des toits. Il n'y avait pas un souffle d'air. L'entrée du Louvre était illuminée, et les portes, ouvertes. Il entra.
    C'était une exposition de nuit. Quelques salles étaient éclairées. Il traversa la galerie égyptienne qui ressemblait à un immense tombeau, éclatant de lumière. Les rois de pierre, vieux de trois millénaires, immobiles, fixaient de leurs yeux de granit les groupes d'étudiants, de femmes qui portaient leur chapeau de l'année précédente, et de vieux messieurs à l'air ennuyé. Il régnait une odeur de poussière, d'air vicié et d'immortalité.
    Dans la galerie grecque, devant la Vénus de Milo, se tenait un groupe de jeunes filles chuchotantes, qui ne lui ressemblaient pas du tout. Ravic s'arrêta. Après le granit et la syénite verte des Égyptiens, le marbre paraissait faible et décadent. La Vénus, douce et de formes arrondies, semblait une petite bourgeoise au bain, satisfaite de son sort; belle, et le cerveau vide de la moindre pensée. Apollon, le tueur de lézards, était un éphèbe qui avait besoin d'exercice. Ce qui les tuait, c'était d'être dans des pièces. Cela ne tuait pas les Égyptiens ; ils étaient faits pour les temples et pour les tombeaux. Aux Grecs il fallait le soleil, l'air, et les colonnes entre lesquelles se glissait la lumière dorée d'Athènes.
    Ravic poursuivit sa marche. Le grand hall avec son grand escalier semblait venir vers lui. Et soudain, au-dessus de tout le reste, s'éleva la Niké de Samothrace.
    Il y avait longtemps qu'il ne l'avait vue. La dernière fois, c'était par une journée grise. Le marbre lui avait paru morne et sans vie, dans la triste lumière, et la princesse de la victoire lui avait semblé indécise et glacée. Mais maintenant elle dominait l’immense escalier, debout sur l’étrave du navire de marbre, inondée de lumière par les réflecteurs ; les ailes toutes grandes, sa tunique collée par le vent à son corps élancé ; éblouissante, et prête à s’envoler. Derrière elle, l’immensité pourpre de la mer de Salamine semblait rugir.
    Elle ignorait tout de la morale. Elle ignorait tout des problèmes. Elle ne connaissait pas les orages et les sombres pièges du sang. Elle connaissait la victoire et la défaite, et les deux étaient presque identiques. Elle n’était pas la tentation, elle était l’envol. Elle n’était pas la séduction, mais l’insouciance. Elle n’avait pas de secret ; et pourtant, elle était plus troublante que Vénus, qui, en cachant son sexe, le mettait en relief. Elle était comme les navires et les oiseaux, comme le vent, les vagues et l’horizon. Elle n’avait pas de pays.
    Non, elle n’avait pas de pays, pensait Ravic. Mais elle n’en avait pas besoin. Elle était chez elle sur tous les vaisseaux. Elle était chez elle partout où se trouvaient le courage, la lutte et même la défaite, pourvu que ce fût une défaite sans désespoir. Elle était plus que la déesse de la victoire, elle était aussi la déesse des aventuriers et la déesse des réfugiés… Tant qu’ils ne se résignaient pas.
    Il jeta un regard autour de lui. Il ne restait plus personne dans la salle. Les élèves et les touristes à Baedeker étaient partis, rentrés dans leurs foyers. Dans leurs foyers !… Y avait-il d’autre foyer, pour l’être qui n’avait plus d’attaches nulle part, que l’abri orageux qu’il trouvait un instant dans le cœur d’un autre être ? N’était-ce pas pour cela que l’amour, lorsqu’il frappe le cœur d’un sans-foyer, l’ébranlé et le possède si totalement ? Ravic n’avait-il pas, justement pour cette raison, cherché à l’éviter ? Et pourtant l’amour l’avait suivi, l’avait rejoint et terrassé. Il est plus dur de remonter la pente glacée d’un pays étranger que

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