L'arc de triomphe
défierait, naturellement, et le surveillerait. Il valait peut-être mieux qu’il fût assis avec une femme.
« C’est entendu, dit-il. Tu peux rester ici. Je t’assure que tu te trompes. Au bout d’un certain temps, il faudra que je me lève et que je parte. Tu m’accompagneras jusqu’à un taxi, mais tu ne viendras pas plus loin avec moi. Tu acceptes ?
– Pourquoi tant de mystère ?
– Il n’y a pas de mystère. Il y a ici un homme que je n’ai pas vu depuis longtemps. Je tiens à savoir où il habite. Voilà tout.
– Ce n’est pas une fe mme ?
– Non, c’est un homme, et je ne peux rien te dire de plus. »
Le garçon était près de la table.
« Que veux-tu boire ? demanda Ravic.
– Du calvados.
– Un calvados, dit-il au garçon.
– Tu ne prends pas de calvados ?
– Non, je bois du Pernod. »
Jeanne scrutait son visage attentivement.
« Tu ne peux pas savoir comme je te hais, parfois.
– C’est possible, dit Ravic, en jetant un coup d’œil rapide vers la table de Haake.
– Tu es froid, égoïste…
– Jeanne, dit Ravic, nous discuterons de cela une autre fois. »
Elle garda le silence tandis que le garçon posait son verre devant elle. Ravic paya immédiatement.
« C’est toi qui es cause de tout, dit-elle d’un ton de défi.
– Oui, je sais. »
Un instant, il aperçut la main de Haake sur la table. La main potelée qui se tendait vers le sucrier.
« Oui, c’est toi ! Nul autre que toi ! Tu ne m’as jamais aimée ! Quand tu as vu que je t’aimais, tu t’es amusé de moi, et tu as refusé de me prendre au sérieux.
– C’est juste.
– Comment ?
– C’est juste, répéta Ravic sans la regarder. Mais un peu plus tard, tout a changé.
– Oui, plus tard ! Plus tard ! Tout était bouleversé alors. Et il était trop tard ! C’est toi qui es responsable !
– Je le sais.
– Ne me parle plus sur ce ton ! » Elle avait le visage blanc de rage. « Tu ne m’écoutes même pas !
– Je t’écoute. » Il tourna les yeux vers elle. Parler, dire quelque chose, peu importe quoi. « T’es-tu querellée avec ton acteur ?
– Oui.
– Ça passera. »
De la fumée bleue s’élevait de la table. Le garçon versait de nouveau du café. Haake prenait son temps.
« J’aurais pu ne pas te le dire, disait Jeanne. J’aurais pu te dire que j’étais ici par hasard. Je ne l’ai pas fait. C’est toi que je cherchais. Je veux le quitter.
– Il y en a toujours un qui veut quitter l’autre. C’est dans les règles du jeu.
– J’ai peur de lui. Il me menace. Il veut me tuer.
– Hein ? » Ravic était attentif maintenant. « Qu’est-ce que tu dis ?
– Il dit qu’il va me tuer.
– Qui ? » Il ne savait plus très bien où il en était. Puis il comprit. « Oh ! Je vois. Tu n’en crois rien, j’espèce !
– Il a une nature violente.
– Bêtises ! Ceux qui en parlent ne le font jamais. Les acteurs moins que quiconque. »
« Que fait-elle ici ? Que me veut-elle ? En quoi tout cela me regarde-t-il ? »
« Pourquoi me parles-tu de cela ? demanda-t-il.
– Je vais le quitter. Je vais te revenir. »
« S’il prend un taxi, il me faudra au moins quelques secondes pour en trouver un. Et il sera peut-être trop tard. » Il se leva.
« Attends ici. Je reviens tout de suite.
– Où vas-tu ? »
Il ne répondit pas. Il traversa rapidement la rue et héla une voiture.
« Tenez, voici dix francs. Pouvez-vous m’attendre ? J’en ai encore pour quelques instants avant d’être prêt. »
Le chauffeur regarda l’argent, puis Ravic. Ravic cligna de l’œil. Le chauffeur fit de même. Il froissait le billet entre ses doigts.
« C’est en plus, dit Ravic. Vous savez pourquoi…
– Je comprends, dit l’autre en souriant. C’est entendu. Je stationne ici.
– Soyez prêt à partir sans perdre une seconde.
– Ça va, patron ! »
Ravic se fraya un chemin parmi la foule. Soudain sa gorge se tendit. Il venait de voir Haake debout dans la porte. Il n’entendit pas ce que disait Jeanne.
« Attends ! lui dit-il d’une voix rauque. Attends ! Un moment ! Une seconde.
– Non. »
Elle se leva.
« Tu vas le regretter ! »
Elle sanglotait presque. Il se força à sourire. Il lui tenait la main. Haake était toujours dans la porte.
« Assieds-toi, dit Ravic. Une seconde seulement.
– Non ! »
La main de Jeanne
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