L'arc de triomphe
tentait de forcer son étreinte. Il la lâcha. Il ne voulait pas de scène. Elle partit rapidement, se glissant entre les rangées de tables. Haake la suivit des yeux. Lentement, son regard revint se poser sur Ravic, puis retourna dans la direction qu’avait prise Jeanne. Ravic s’assit. Le sang lui battait furieusement les tempes. Il tira son portefeuille et fit semblant de chercher quelque chose. Haake s’avançait lentement entre les tables. Ravic affecta de regarder avec indifférence dans une direction opposée. Haake allait nécessairement passer devant lui.
Il attendit. Il lui sembla qu’il attendait depuis une éternité. Une crainte brûlante s’empara de lui. Si Haake avait fait volte-face ! Il se retourna vivement. Haake n’était plus là. Plus là ! Un instant, tout se mit à tourner autour de lui.
« Vous permettez ? » demanda une voix à côté de lui.
Ravic n’entendit pas. Il regarda la porte. Haake n’était pas retourné dans le restaurant. « Lève-toi, pensa-t-il. Cours après lui. Essaie de le rejoindre. » La voix se fit de nouveau entendre derrière lui et Haake se trouvait à côté de la table.
Il indiquait la chaise que Jeanne venait de quitter.
« Vous permettez ? Toutes les tables sont prises. »
Ravic fit signe que oui. Il eût été incapable de parler. Le sang s’était retiré de son cerveau. Il lui semblait que ses veines se vidaient, que le sang allait abandonner tout son corps. Il s’appuya avec force au dossier de la chaise. Son verre était toujours devant lui. Le breuvage laiteux. Il le prit et but. C’était lourd. Il s’étudia. Le verre ne tremblait pas dans sa main. C’étaient ses veines qui tremblaient.
Haake commanda une fine. Une vieille fine Champagne. Il parlait français avec un fort accent germanique. Ravic fit signe à un camelot.
« Paris-Soir. »
Le camelot jeta un regard précautionneux vers l’entrée. Il savait que la vieille vendeuse de journaux se tenait là. Il tendit à Ravic un journal plié comme par hasard, prit l’argent et se sauva rapidement.
« Il m’a sûrement reconnu, pensait Ravic. Sans cela, pourquoi serait-il venu s’asseoir ici ? » Ravic n’avait pas prévu cela. Tout ce qu’il pouvait faire, maintenant, était de rester et de voir ce que voulait Haake et d’agir en conséquence.
Il prit le journal, lut les en-têtes, et le reposa sur la table. Haake le regardait.
« Une soirée superbe », dit-il en allemand.
Ravic acquiesça de la tête.
Haake sourit.
« J’ai l’œil perçant, n’est-ce pas ?
– Apparemment.
– Je vous ai remarqué tout à l’heure à l’intérieur. »
Ravic fit un geste d’indifférence. Tout son être était tendu à l’extrême. Il ne pouvait arriver à deviner ce que voulait son ennemi. Celui-ci ne savait sûrement pas qu’il était en France illégalement. À moins que la Gestapo ne possédât aussi les moyens de savoir cela.
« Je vous ai tout de suite reconnu », dit Haake.
Ravic l’interrogea du regard.
« Cette cicatrice, dit Haake en étendant le doigt vers le front de Ravic. Membre d’un corps d’étudiants. Vous devez par conséquent être Allemand. Ou du moins vous avez étudié en Allemagne. »
Il se mit à rire. Ravic le regardait toujours. Impossible ! C’était par trop ridicule ! Il respira profondément, avec un soulagement infini. Haake n’avait pas la moindre idée de son identité. Il se figurait que la cicatrice de son front était le résultat d’un duel. Ravic rit à son tour. Il rit avec Haake. Il dut s’enfoncer les ongles dans les paumes, pour s’arrêter de rire.
« Suis-je dans le vrai ? demanda Haake avec une vanité aimable.
– Absolument. »
La cicatrice de son front. Il avait reçu la blessure lorsqu’on l’avait battu au quartier général de la Gestapo, sous l’œil même de Haake. Ses yeux et sa bouche avaient été inondés de sang. Et maintenant, Haake croyait reconnaître la marque d’un duel, et se sentait tout fier de sa perspicacité.
Le garçon apporta la fine de Haake. Il la renifla en connaisseur.
« Voilà une chose qu’ils ont ici ! déclara-t-il. Du bon cognac ! À part cela… » Il fit un clin d’œil à Ravic. À part cela, tout est pourri. Un peuple de rentiers. Ils ne demandent que la sécurité et la vie facile. Ils seront impuissants contre nous. »
Ravic crut qu’il serait incapable de parler. Il crut qu’il allait saisir son verre, le briser sur le
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