L'arc de triomphe

plaques, le bruit de la détonation. Rolande qui venait de lui parler… Il crut entendre Morosow : « Ne prends aucun risque. Aucun. Ça n’en vaut pas la peine. »
    Pas de portier. Pas de taxi. Parfait. Les clients étaient rares à cette heure, le lundi. Au moment même où il se faisait cette réflexion, une Citroën passa devant lui et s’arrêta à la porte. Le chauffeur alluma une cigarette et bâilla à se décrocher les mâchoires. Ravic sentit son épiderme se contracter. Il attendit.
    Il se demanda s’il devrait descendre, et dire au chauffeur qu’il n’y avait plus personne à l’Osiris.
    Trop dangereux. Le payer pour faire une course imaginaire, ou même pour porter un mot à Morosow ? Oui. C’était cela. Il prit dans sa poche un bout de papier, griffonna quelques lignes, qui disaient à Morosow de ne pas l’attendre au Schéhérazade. Il signa d’un nom fictif…
    Le taxi s’éloigna. Il le suivit des yeux, mais ne put voir l’intérieur. Il ignorait si Haake y était monté pendant qu’il écrivait. Il mit en première. La Talbot tourna le coin et se lança à la poursuite du taxi.
    Il ne pouvait voir personne par la vitre arrière. Mais il était possible que Haake fût assis dans un des coins. Il dépassa la Citroën. Il ne put rien distinguer à l’intérieur. Il ralentit, se laissa dépasser. Le chauffeur se retourna pour lui crier :
    « Dis donc, espèce d’idiot ! Tu essaies de m’emboutir ?
    –  Vous avez un de mes amis dans votre voiture.
    –  Bougre d’ivrogne ! reprit l’autre. Tu ne vois donc pas que ma bagnole est vide ? »
    Ravic vit que le compteur ne marquait pas. Il s’arrêta, tourna rapidement et fonça dans la direction d’où il était venu.
    Haake était au bord du trottoir. Il se mit à faire des signaux.
    « Hé, taxi ! »
    Ravic vint jusqu’à lui et freina.
    « Taxi ? répéta Haake.
    –  Non. »
    Ravic se pencha à la portière.
    « Bonsoir », dit-il.
    Haake le regarda en plissant les yeux.
    « Comment ?
    –  Je crois que nous nous connaissons, dit Ravic en allemand.
    –  Meirt Gott… Herr von… von…
    –  Horn.
    –  C’est-cela ! C’est-cela ! Herr von Horn. Naturellement ! Quelle coïncidence ! Où étiez-vous, cher ami ?
    –  Mais ici, à Paris. Venez, montez. Je ne croyais pas que vous reviendriez si vite.
    –  Je vous ai téléphoné à plusieurs reprises. Vous avez changé d’hôtel.
    –  Non. Je suis toujours au Prince-de-Galles. »
    Ravic ouvrit la portière du coupé.
    « Montez. Je vous emmène. Vous ne trouverez plus de taxi à cette heure. »
    Haake posa un pied sur le marchepied de la voiture. Ravic pouvait sentir son souffle. Il vit la face rouge, congestionnée.
    « Prince-de-Galles, dit Haake. Zut ! C’est donc cela ! Je vous téléphonais au George-V. »
    Il se mit à rire aux éclats.
    « Je comprends maintenant. Le Prince-de-Galles, naturellement. J’ai confondu les deux. Je n’avais pas mon carnet. J’étais sûr de ma mémoire. »
    D’un œil, Ravic surveillait l’entrée. Personne ne sortirait d’ici un certain temps. Il fallait que les filles changent de vêtements. Mais il était nécessaire que Haake montât sans plus tarder.
    « Songiez-vous à entrer ? demanda Haake.
    –  J’y pensais. Mais il est trop tard. »
    Haake se moucha bruyamment.
    « En effet. J’étais le dernier. C’est fermé maintenant.
    –  : Ça ne fait rien. L’endroit n’est pas intéressant. Allons ailleurs. Montez.
    –  Il y a encore des endroits ouverts ?
    –  Bien sûr. C’est à cette heure-ci que les bons endroits ouvrent. L’Osiris est une boîte à touristes.
    –  Vraiment ? Je croyais pourtant que c’était… vraiment un des meilleurs.
    –  L’Osiris ? Un bordel ordinaire. Il y a des endroits infiniment mieux. »
    Ravic appuya à maintes reprises sur l’accélérateur. Le ronronnement du moteur s’accentua, puis diminua de nouveau. La manœuvre réussit. Avec précaution, Haake monta et s’installa auprès de lui.
    « Je suis heureux de vous revoir, dit-il. Je suis vraiment heureux. »
    Ravic étendit le bras et referma la portière.
    « Je suis ravi, moi aussi.
    –  Endroit intéressant, quoi que vous en disiez ! Beaucoup de filles nues. Dire que la police permet ça !… J’imagine que la plupart sont contaminées, n’est-ce pas ?
    –  Dans ces endroits-là, on ne sait jamais… »
    Ravic embraya.
    « Connaissez-vous des endroits où