L'arc de triomphe
d’identité parfaite, valide encore pour plus d’un an. Elle appartenait à un de mes amis, qui est mort il y a quelques mois. À l’enquête, nous avons dit qu’il était un réfugié allemand sans papiers. Nous avons ainsi sauvé le certificat. Peu lui importe d’être enterré quelque part sous le nom de Josef Weiss. Et deux réfugiés ont déjà utilisé sa carte d’identité. Il s’appelait Ivan Kluge. Le nom n’est pas russe. La photo est brouillée, elle ne porte pas de sceau et rien n’est plus facile que de l’échanger.
– Non, je crois que les choses sont mieux comme elles sont, dit Ravic. Quand je sortirai d’ici, Horn n’existera plus, et il n’y aura pas de papiers.
– D’accord. C’eût été plus simple au cas d’une visite de police. Mais il n’y en aura pas. Ils ne viennent pas dans les hôtels où les clients paient plus de cent francs pour leur chambre. Je connais un réfugié qui vit au Ritz depuis cinq ans sans papiers. Le seul qui le sache est le portier de nuit. Dis-moi, as-tu songé à ce que tu ferais au cas où les gens de l’hôtel te demanderaient tes papiers ?
– Évidemment. Mon passeport est à l’ambassade argentine pour un visa. Je leur promettrai d’aller le chercher le lendemain. J’abandonnerai ma valise ici, et je ne reviendrai pas. J’aurais tout le temps, car la première enquête serait faite par la direction, et non par la police. C ’est là-dessus que je compte. Seulement… si cela arrivait, tout serait gâté.
– Tout ira bien, ne t’en fais pas. »
Ils jouèrent jusqu’à huit heures et demie.
« Va manger quelque chose, maintenant, dit Morosow. Je t’attendrai ici, après quoi je m’en irai.
– Je mangerai ici, plus tard.
– Mais non, imbécile. Vas-y tout de suite, et prends un repas convenable. Lorsque ton homme t’appellera, il faudra probablement que tu boives d’abord avec lui. Et dans ce cas, il vaut mieux que tu n’aies pas l’estomac vide. Tu as décidé où tu allais l’emmener ?
– Oui.
– Je veux dire au cas où il voudrait aller boire quelques verres ?
– Oui. Je connais des quantités d’endroits où les gens se mêlent de ce qui les regarde.
– Alors, va manger maintenant. Ne bois rien, et mange les mets les plus gras que tu pourras trouver.
– C’est bien. »
Ravic retourna au Fouquet’s. Il avait l’impression que tout ce qu’il faisait était irréel, qu’il lisait un livre, qu’il voyait se dérouler un film mélodramatique ou qu’il faisait un rêve. Les terrasses étaient bondées de monde. Il examina chaque table. Haake n’était pas là.
Il choisit une petite table près de la porte, afin de pouvoir observer à la fois la rue et l’entrée. À la table voisine, deux femmes discutaient Schiaparelli et Mainbocher. Un homme au visage orné d’une barbe pointue, assis avec elles, ne disait rien. De l’autre côté, quelques jeunes Français parlaient politique. L’un tenait pour les croix-de-feu un autre pour les communistes. Le reste du groupe se moquait d’eux. Et tous regardaient attentivement deux belles Américaines pleines d’assurance, qui buvaient du vermouth.
En mangeant, Ravic surveilla la rue. Il n’était pas assez stupide pour ne pas croire aux accidents. Les accidents existent partout, sauf dans la bonne littérature ; les plus absurdes qu’on puisse imaginer se produisent quotidiennement. Il demeura au Fouquet’s pendant une demi-heure. Puis, une fois de plus, il revint à l’hôtel.
« Voici la clef de ta voiture, dit Morosow. Je l’ai échangée. C’est une Talbot bleue avec des sièges de cuir. L’autre avait des sièges recouverts de tissu côtelé. Le cuir se lave plus facilement. C’est un cabriolet. N’oublie pas de laisser toujours la fenêtre ouverte, de manière que, si tu tires, les balles sortent par la fenêtre ouverte. Je l’ai louée pour deux semaines. Et surtout, ne la ramène au garage sous aucun prétexte. Abandonne-la dans une petite rue. Tu la trouveras dans la rue de Berri, devant le Lancaster.
– Merci, dit Ravic. Il déposa la clef à côté du téléphone.
– Voici le certificat d’enregistrement pour la voiture. Je n’ai pu t’obtenir un permis de conduire. Je ne tenais pas à éveiller l’attention.
– Je n’en ai pas besoin. J’ai fait tout le voyage d’Antibes sans permis.
– Gare la voiture à un endroit différent, ce soir », dit Morosow.
« Du mélodrame, pensa
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