L'arc de triomphe
l’on puisse être absolument sûr ? demanda Haake en mordant le bout d’un cigare. Je ne voudrais pas rentrer avec une maladie. Mais, d’autre part, on ne vit qu’une fois !
– En effet, dit Ravic, en lui tendant l’allume-cigares.
– Où allons-nous ?
– Que diriez-vous d’une maison de rendez-vous pour commencer ?
– Qu’est-ce que c’est que ça ?
– Une maison où des femmes de la société vont courir l’aventure.
– Comment ? Des dames de la vraie société ?
– Naturellement. Des femmes dont les maris sont trop vieux, ou ennuyeux. Ou encore, des femmes dont le mari ne gagne pas d’argent.
– Mais comment… elles ne peuvent tout de même pas… comment font-elles ?
– Elles y vont pour une ou deux heures. Comme s’il s’agissait de prendre un cocktail. Et on les appelle s’il y a des clients. Ce n’est pas une maison comme celles de Montmartre. J’en connais une excellente au milieu du Bois. La propriétaire a l’air d’une duchesse. Tout est extrêmement distingué, discret et élégant. »
Ravic parlait lentement, avec maîtrise, respirant à l’aise. Il s’écouta parler, comme un guide pour touristes, mais il se força à continuer, afin de se calmer encore davantage. Il sentait trembler les veines de ses bras. Il tenait le volant à deux mains, fortement, pour se contrôler.
« Vous allez être surpris quand vous verrez les pièces, dit-il. Tous les meubles sont authentiques. De vieilles tapisseries, des vins exquis, un service parfait. Et quant aux femmes, absolument aucun risque. »
Haake lança une bouffée de son cigare et se tourna vers Ravic.
« Tout cela me paraît merveilleux, mon cher von Horn. Une seule chose m’ennuie. Tout cela doit coûter affreusement cher !
– Je vous assure que c’est raisonnable. »
Haake eut un rire rauque et embarrassé.
« Tout dépend de ce que vous entendez par là. N’oubliez pas que pour nous, Allemands, il y a des restrictions sur le change. »
Ravic, d’un geste, dissipa l’objection.
« Je connais très bien la propriétaire. J’ai eu à maintes reprises l’occasion de lui rendre d’importants services. Nous serons considérés comme des hôtes tout à fait spéciaux. Je vous présente comme un de mes amis, et il est fort probable qu’on ne vous permettra pas de payer quoi que ce soit. Quelques pourboires, tout au plus. Moins que le prix d’une bouteille à l’Osiris.
– Vraiment ?
– Vous verrez. »
Haake se retourna à demi sur le siège.
« Donnerwetter ! Vous êtes un type épatant ! » Il fit un large sourire à Ravic. « Vous me paraissez vraiment connaître les bons endroits ! Vous avez dû rendre à cette femme un fameux service. »
Ravic le regarda droit dans les yeux.
« Les endroits de ce genre, dit-il, ont parfois des ennuis avec les autorités. Des tentatives de chantage. Vous voyez ce que je veux dire…
– Et comment ! »
Un instant Haake sembla réfléchir.
« Vous avez donc tant d’influence ?
– Pas moi, mais j’ai des amis qui en ont.
– C’est merveilleux. Vous pourriez nous rendre de grands services. Voulez-vous que nous en causions un de ces jours ?
– Avec plaisir. Combien de temps restez-vous à Paris ? »
Haake se mit à rire.
« C’est comme un fait exprès, que je vous rencontre toujours lorsque je suis sur le point de partir. Je pars à sept heures trente ce matin. » Il consulta le cadran de la voiture. « Dans deux heures et demie. J’allais oublier de vous le dire. Il faut que nous soyons à la gare du Nord pour cette heure-là. Croyez-vous que ce soit possible ?
– Facilement. Devez-vous retourner à votre hôtel avant ?
– Non. J’ai laissé mon sac à la consigne, et j’ai quitté l’hôtel cet après-midi. De cette manière, j’économise le prix d’une journée. Avec le change…
Il rit de nouveau.
Ravic s’aperçut soudain qu’il riait aussi. Il serra plus fort le volant. « Impossible ! C’est impossible ! pensa-t-il. Il va arriver quelque chose ! Une veine pareille ne peut pas continuer ! »
L’air frais accentuait l’effet de l’alcool qu’avait ingurgité Haake. Sa voix s’alourdit et les mots vinrent plus lentement. Il s’installa plus confortablement dans son coin et se mit à sommeiller. Sa mâchoire inférieure s’affaissa, et ses yeux se fermèrent. La voiture s’engagea dans la noirceur silencieuse du Bois.
Les phares
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