L'arc de triomphe
« Est-il nécessaire d’informer la police ?
– Oui, dit Veber, pour avoir ici deux représentants des autorités qui voudront vous questionner. C’est ça que vous voulez ?
– Non.
– C’est bien. Nous y repenserons cet après-midi, dit Eugénie.
– Ça suffit, Eugénie », dit Ravic.
Les tempes de Jeanne avaient repris un peu de couleur. Une teinte rosée. Le pouls battait avec régularité, faible, mais net.
« Vous pouvez l’emporter. Je resterai ici. »
Elle remua la main. La main droite. La gauche ne bougea pas.
« Ravic, dit-elle.
– Oui…
– Tu m’as opérée ?
– Non, Jeanne. Ce n’était pas nécessaire. J’ai simplement nettoyé la plaie.
– Tu vas rester ici ?
– Oui. »
Elle ferma les yeux et s’endormit de nouveau. Ravic alla jusqu’à la porte.
« Apportez-moi du café, demanda-t-il à l’infirmière de garde.
– Du café et des croissants ?
– Non, du café seulement. »
Il revint et ouvrit la fenêtre. Le matin était resplendissant, les passereaux voletaient de toit en toit. Ravic s’assit près de la fenêtre, et alluma une cigarette.
L’infirmière revint avec le café et le posa près de lui. Il continua à fumer et à regarder au-dehors. Lorsqu’il arracha son regard du matin ensoleillé, la chambre lui parut sombre. Il se leva et s’approcha de Jeanne. Elle dormait toujours. Son visage, lavé, était d’une pâleur de cire. C’est à peine si on distinguait ses lèvres.
Il but son café et porta le plateau avec la tasse hors de la pièce. Il le déposa sur une table qui se trouvait dans le corridor. Il régnait une odeur mixte de cire à parquet et de pus. Une infirmière passa près de lui, portant un seau de pansements maculés. Quelque part il entendit le bourdonnement d’un aspirateur.
Jeanne s’agita. Elle était sur le point de s’éveiller. S’éveiller pour souffrir. Et la douleur irait en augmentant. Elle pouvait vivre encore quelques heures, ou même quelques jours. Puis la douleur deviendrait si aiguë que bientôt les piqûres ne la soulageraient plus.
Ravic prit une seringue et des ampoules. Lorsqu’il revint, Jeanne ouvrait les yeux. Il la regarda.
« Mal de tête… » murmura-t-elle.
Il attendit. Elle essayait de remuer la tête. Les paupières semblaient alourdies. Avec effort elle remua les yeux.
« On dirait du plomb… » fit-elle. Elle s’éveillait davantage. « Ça fait mal… Je ne peux pas endurer…
– Ce sera vite passé… »
Il lui fit une piqûre.
« Tout à l’heure, je n’avais pas trop mal… »
Elle remua la tête.
« Ravic, murmura-t-elle. Je ne veux pas souffrir… Promets de ne pas me laisser trop souffrir… Ma grand-mère… je l’ai vue… Je ne veux pas ça… Promets…
– Je te le promets, Jeanne. Tu ne souffriras pas beaucoup. À peine. »
Elle serra les dents.
« Ça passera bientôt ?
– Oui, bientôt. Dans quelques minutes…
– Qu’y a-t-il, Ravic ? Mon bras…
– Ce n’est rien. Tu ne peux pas le remuer. Ça va se remettre.
– Et ma jambe… ma jambe droite… »
Elle essaya de la relever, sans y parvenir.
« C’est la même chose, Jeanne. N’essaie pas de remuer. Tout va s’arranger, avec un peu de temps. »
Jeanne déplaça sa tête sur l’oreiller.
« Juste au moment où je voulais commencer… à vivre différemment… », murmura-t-elle.
Ravic ne répondit pas. Que pouvait-il dire ? C’était peut-être vrai. On veut toujours essayer de vivre différemment.
Elle bougea la tête plusieurs fois avec agitation. Sa voix était monotone, et il était visible qu’elle faisait un effort pour parler.
« Je suis contente que tu sois venu… Que serait-il arrivé… sans toi ?
– Oui, je suis venu… »
« La même chose, pensa-t-il avec désespoir. La même chose serait arrivée. N’importe quel charlatan eût fait tout aussi bien. Le jour où j’ai le plus grand besoin de tout mon savoir, il ne me sert à rien. Un charlatan aurait pu en faire autant.
Tout autant. »
À midi, elle savait. Il ne lui avait rien dit, mais elle avait soudain compris.
« Je ne veux pas être infirme, Ravic… Pourquoi mes jambes ne remuent-elles pas ? Je ne peux plus même bouger ma jambe gauche…
– Ce n’est rien. Tu marcheras. Tu marcheras comme avant, dès que tu pourras te lever.
– Quand je me lèverai ? Pourquoi mens-tu ? Tu n’as pas besoin… de mentir…
– Je ne
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