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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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accompagné jusqu’à la porte. C’est comme cela que j’ai su.
    –  Quand est-elle venue ?
    –  Une semaine avant moi.
    –  Il s’agit de celle qui est morte durant l’opération ?
    –  Oui.
    –  Et vous êtes venue tout de même ?
    –  Oui, dit Lucienne avec indifférence. Pourquoi pas ? »
    Ravic scruta le petit visage froid, d’où la vie avait eu tôt fait de bannir toute douceur.
    « Vous aviez été chez la même sage-femme ? demanda-t-il.
    Aucune réponse.
    « Chez le même médecin ? Il ne faut pas avoir peur de me le dire. Après tout, je ne sais pas de qui il s’agit.
    –  Marie y était allée d’abord. Une semaine avant. Dix jours avant.
    –  Et vous vous y êtes rendue après ce qui lui était arrivé ? »
    Lucienne haussa les épaules.
    « Que vouliez-vous que je fasse ? Il fallait bien prendre le risque. Je ne connaissais personne d’autre. Qu’aurais-je fait d’un gosse ? » Elle regarda de nouveau par la fenêtre. Sur le balcon d’une maison voisine, un homme en bretelles s’abritait sous un parapluie. « Combien de temps devrai-je encore demeurer ici, docteur ?
     –  Une semaine environ.
    –  Encore une semaine ?
    –  Ce sera vite passé. Pourquoi ?
    –  C’est que ça coûte cher…
    –  On peut sans doute abréger d’un jour ou deux.
    –  Croyez-vous que je pourrai régler par versements ? Je n’ai pas suffisamment d’argent. Trente francs par jour, c’est coûteux…
    –  Qui vous a dit ça ?
    –  C’est la garde.
    –  Laquelle ? Eugénie, j’imagine…
    –  Oui, elle dit que l’opération et les pansements sont en supplément. Est-ce que ce sera très cher ?
    –  Vous avez déjà payé pour l’opération.
    –  La garde dit que c’est loin d’être suffisant.
    –  Elle n’en sait rien, Lucienne. Mieux vaut attendre, et demander plus tard au docteur Veber.
    –  Je voudrais le savoir le plus tôt possible.
    –  Pourquoi ?
    –  Parce que je dois faire des plans ; voir combien il me faudra travailler pour régler.  Elle contempla ses mains. Les doigts en étaient maigres et marqués de piqûres d’aiguille. « J’ai un mois de loyer à payer. Je suis venue ici le 13, et il aurait fallu que je m’acquitte de la quittance le 15. Il va falloir que je règle tout un mois pour rien.
    –  N’y a-t-il personne qui puisse vous aider ? »
    Elle releva la tête. Elle paraissait soudain vieillie de dix ans.
    « Vous savez, docteur, qu’il était tout simplement furieux. Il ne me croyait pas si ignorante, sinon, il n’aurait jamais eu affaire à moi. »
    Ravic fit signe qu’il comprenait. Tout ceci n’était pas nouveau pour lui.
    « Lucienne, dit-il, nous pourrions peut-être essayer d’obtenir quelque chose de l’avorteuse. Elle est responsable. Il suffit que vous me donniez son nom. »
    Elle se redressa, subitement hostile.
    « La police ? Jamais. Je serais mêlée à l’affaire.
    –  Mais non, ça pourrait s’arranger sans la police. Par des menaces, tout simplement. »
    Elle se mit à rire amèrement.
    « Vous n’obtiendrez rien de cette femme par la menace, elle est d’acier. Je lui ai donné trois cents francs, pour ça… » Elle lissa son kimono. « Il y a des gens qui n’ont pas de chance, ajouta-t-elle avec résignation, comme si elle eût parlé de quelqu’un d’autre.
    –  Au contraire, répliqua Ravic, vous avez eu beaucoup de chance. »
    Il vit Eugénie dans la salle d’opérations. Elle était occupée à polir les instruments. C’était son passe-temps favori. Elle était si absorbée par son travail qu’elle ne l’entendit pas venir.
    « Eugénie », dit-il.
    Elle sursauta.
    « C’est vous ? Vous pourriez éviter de faire peur aux gens.
    –  Je crois que vous exagérez. Dites-moi, pourquoi de votre côté, effrayez-vous les patientes avec des histoires de prix exorbitants ? »
    Eugénie se redressa.
    « Naturellement, il fallait que cette petite garce aille tout de suite bavarder !
    –  Ma chère Eugénie, repartit Ravic, je vous assure qu’il y a plus de garces parmi les femmes qui n’ont jamais couché avec un homme, que parmi celles qui gagnent péniblement leur vie de cette façon. Sans compter celles qui sont mariées. Et puis elles ne se plaignent pas. Vous lui avez volontairement gâté sa journée. Voilà tout !
    –  Et après ? On n’a pas à être sensible, quand on mène ce genre de vie ! »
    « Modèle de vertu

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