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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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bien. » Ravic attendait dans le hall. Il y vit trois paires de chaussures. Une paire de bottines à élastiques. De cette pièce venait un formidable ronflement. Et puis une paire de souliers d’homme, marron foncé et une paire de souliers de cuir verni. Ces derniers étaient à la même porte. Bien qu’elles fussent ensemble, elles donnaient une impression de solitude et de délaissement.
    Le portier apporta le pyjama : soie bleue artificielle, avec des étoiles d’or. Ravic les contempla sans dire un mot.
    « Il est magnifique, n’est-ce pas ? » dit le portier avec fierté.
    »  Le pyjama était neuf et encore plié dans sa boîte.
    « Je voudrais voir la dame qui l’a choisi ! Combien vous dois-je ?
    –  Oh ! Ce que vous voudrez. » Ravic lui tendit de l’argent.
    « C’est trop, dit le portier. Bonsoir, monsieur. Votre dame pourra le rendre demain.
    –  Je vous le rendrai moi-même. Réveillez-moi à sept heures et demie. Bonsoir. »
     
    « Regardez ! dit Ravic à Jeanne, en lui montrant le pyjama. Un costume de carnaval ! Et je vais le porter. Il faut à la fois du courage et du détachement pour consentir à se rendre ridicule. » Il rangea les couvertures sur la chaise longue. Peu lui importait de coucher ici ou ailleurs. En se promenant dans le corridor, il avait vu que la salle de bain était convenable et le portier lui avait fourni une brosse à dents. Le reste importait peu. Pour lui, la femme était en somme une malade.
    Il versa du cognac dans un grand verre qu’il plaça près du lit.
    « Je crois que vous en aurez suffisamment comme cela, et je n’aurai pas à me relever pour vous servir. Je prends avec moi la bouteille et l’autre verre. »
    Il s’installa sur la chaise longue. Il constata avec, plaisir qu’elle ne semblait pas se préoccuper outre mesure de son confort. Elle avait ce qu’elle voulait… Heureusement qu’elle ne se découvrait pas tout à coup des qualités de ménagère. Il emplit son verre :
    « À votre santé.
    –  À votre santé, répondit Jeanne. Et merci.
    –  Ne me remerciez pas. Je n’avais aucune envie de me promener dans la pluie, je vous l’assure.
    –  Pleut-il encore ?
    –  Oui. »
    La douce cadence de la pluie sur la vitre pénétrait dans la chambre ; quelque chose de froid, de gris, de désolé, plus triste que la tristesse ; un rappel anonyme du passé ; une sorte de ressac cherchant à reprendre et à engloutir ce qu’il avait abandonné sur une grève déserte : un peu d’humanité, de lumière et de pensée.
    « C’est une nuit faite pour boire.
    –  Oui. Mais une mauvaise nuit pour être seule. »
    Ravic demeura un moment silencieux.
    « Il faut pourtant s’y habituer, dit-il. Tout ce qui auparavant faisait notre raison d’être s’est écroulé. Nous sommes éparpillés comme les perles d’un collier dont le fil s’est cassé. Plus rien n’est solide. Étant gosse, je me suis endormi un soir dans une prairie. C’était l’été et le ciel était clair. Avant de fermer les yeux, j’avais vu Orion qui luisait au-dessus des bois. Puis, en me réveillant quelques heures plus tard, Orion était au zénith. Je ne l’ai jamais oublié. J’avais appris dans les livres, et sans trop le comprendre, que la terre était ronde. Je sentais que la planète fuyait à travers l’immensité du ciel. J’avais presque l’instinct de me cramponner à quelque chose, pour ne pas être précipité dans l’espace infini. Cette impression ne s’est jamais dissipée. En sortant du sommeil, j’avais, un instant, perdu toute mémoire et sensation des choses. La terre n’était plus stable – elle ne l’est plus jamais redevenue pour moi.
    –  Cela rend la vie tantôt plus facile, tantôt plus difficile. »
    Il regarda Jeanne :
    « Je suppose que vous avez envie de dormir. Lorsque vous serez trop fatiguée, cessez de répondre.
    –  Pas encore. Bientôt. Il y a encore quelque chose en moi qui veille et qui a froid. »
    Ravic reposa la bouteille sur le plancher. Dans la pièce chaude, il sentait une fatigue profonde le pénétrer peu à peu. Des ombres lentes. Un battement d’ailes. La chambre étrangère, la nuit ; et au-dehors, comme un roulement de tambour de plus en plus faible et lointain, la pluie sur le carreau. Un abri faiblement éclairé sur le bord du chaos… Un petit feu qui brille dans le désert… un visage inconnu auquel on s’adresse…
    « Avez-vous connu cela ?

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