L'arc de triomphe
vide.
« Je vous laisse la bouteille », dit-il.
Il se leva. Une chambre. Une femme ; rien d’autre. L’éclat avait disparu.
« Vous voulez vraiment vous en aller ? » demanda Jeanne.
Elle regarda autour d’elle comme si quelqu’un eût été caché dans la pièce.
« Voici le nom et l’adresse de Morosow. Demain soir à neuf heures. »
Ravic écrivait sur une feuille d’un bloc. Il l’arracha et la posa sur l’une des valises.
Jeanne Madou se leva, prit son béret et son manteau. Ravic lui dit :
« Inutile de me raccompagner.
– Ce n’est pas pour cela. Je ne veux pas rester ici. Pas maintenant. Je veux marcher un peu.
– À quoi bon ! Il faudra rentrer tôt ou tard. Cela revient au même. Restez plutôt ici.
– Non. Quand je reviendrai, il fera jour. Le jour, tout est plus facile. »
Ravic s’approcha de la fenêtre. Il pleuvait toujours. Un halo de lumière jaune marquait l’emplacement des réverbères.
« Nous allons boire encore un verre, dit Ravic, et vous allez vous coucher. Ce n’est pas un temps pour sortir. »
Il prit la bouteille. Soudain Jeanne était tout contre lui et son haleine le frôlait.
« Ne me laissez pas seule ici ce soir, dit-elle d’une voix pressante. Je ne sais pas pourquoi, mais pas ce soir ! Demain, j’aurai du courage, mais ce soir je ne veux pas rester seule. Je suis fatiguée, épuisée, je n’ai plus de forces. Vous n’auriez pas dû me faire sortir… pas ce soir… je ne pourrais plus rester seule, maintenant ! »
Ravic posa la bouteille sur la table et détacha les mains qui se cramponnaient à son bras.
« Mon petit, dit-il, il faut se faire à tout. »
Il désigna la chaise longue.
« Je pourrais dormir là-dessus. Ce n’est plus la peine que je parte, maintenant. Il me faut quelques heures de sommeil. J’ai une opération à neuf heures du matin. Autant dormir ici que chez moi. Ça ne sera pas la première fois. Ça vous va ? »
Elle fit signe que oui. Elle était encore tout contre lui.
« Il faut que je sorte à sept heures et demie. Je vous réveillerai.
– Ça ne fait rien. Je préparerai le petit déjeuner…
– Jamais de la vie ! Je déjeunerai au café du coin comme tous les travailleurs : un café au rhum et des croissants. Quant au reste, je peux m’arranger à la clinique. Rien ne me fait plus de plaisir que de demander un bain à Eugénie. Alors, c’est entendu, nous restons ici. Deux âmes en peine, par une nuit de novembre. Le lit est pour vous. Si vous le voulez, je peux descendre et parler au portier tandis que vous vous préparez.
– Non, dit vivement Jeanne Madou.
– Je ne me sauverai pas. De toute façon, il nous faut des oreillers, des couvertures.
– Je peux sonner.
– Non. Il vaut mieux que ce soit un homme qui s’occupe de cela. »
Le portier arriva presque tout de suite. Il avait une autre bouteille de cognac à la main.
« Vous avez une trop haute opinion de nous, dit Ravic. Merci bien, mais nous sommes de la génération d’après-guerre. Apportez une couverture, un oreiller et des draps. Il faut que je passe la nuit ici. Il fait trop froid et il pleut. J’ai fait une mau vaise pneumonie et je ne suis hors du lit que depuis deux jours. Vous pouvez m’apporter ça ?
– Bien, monsieur. »
Après le départ du portier, Ravic alluma une cigarette.
« Je sors dans le corridor ; je vais examiner les chaussures devant les portes. C’est une vieille habitude. Je ne me sauverai pas, dit-il, en voyant l’expression de Jeanne. Je ne suis pas Joseph d’Égypte. Je ne laisse pas mon manteau derrière moi. »
Le portier revint avec les objets demandés. Il s’arrêta brusquement en voyant Ravic dans le corridor. Puis sa figure s’éclaira :
« Ce n’est pas souvent qu’on voit ça ! dit-il. Une bouillotte. C’est rapport à votre pneumonie.
– Merci. Mais je me garde les poumons au chaud avec du cognac. »
Ravic tira quelques billets de sa poche.
« Je suppose que vous n’avez pas de pyjama, monsieur. Je pourrais vous en avoir un.
– Merci, dit Ravic, en mesurant de l’œil le vieil homme. Il serait sûrement trop petit.
– Pas du tout. Il vous irait parfaitement. Il est tout neuf. En confidence, c’est un Américain qui m’en a fait cadeau. Il l’avait reçu d’une femme. Mais moi, je n’en porte pas. Je porte une chemise de nuit. Il est parfaitement neuf, monsieur.
– Alors, apportez-le. Nous verrons
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