Le Baiser de Judas
me
déclare incompétent. Je vais contacter des membres du Sanhédrin : il en
est suffisamment parmi eux que ton ami exaspère pour que je n’aie guère de
difficultés à les convaincre. Si tu es toujours d’accord pour ce… pour prendre
ce risque, repasse ce soir après le coucher du soleil. Ils seront là. »
Judas rentra chez
Caleb. Jésus s’y retrouvait seul avec les douze apôtres. Il avait tenu à ce qu’il
n’y ait plus qu’eux dans la maison et avait renvoyé quelques fidèles qui
avaient retrouvé sa trace. Tous étaient couchés sur des banquettes avec des
vêtements propres, comme l’exigeait la Loi. Judas arriva le dernier. Jésus, pour
une fois, avait lui-même apporté les plats sur la table et aidé les femmes à
mettre le couvert, il avait même lavé les pieds de Pierre, ce qui avait mis
tout le monde, surtout Pierre, très mal à l’aise.
Le début du repas fut assez morne. Une sourde
tension rongeait les participants. Le froid de ce début de printemps entrait
par les portes disjointes. D’emblée, Jésus avait donné une solennité qui n’avait
pas lieu d’être à cette simple réunion en disant à ses proches ainsi réunis :
« J’ai ardemment désiré ce repas avec
vous avant de souffrir. »
Les apôtres s’étaient regardés. Cela faisait
déjà quelque temps que Jésus ne pouvait plus s’adresser à eux sans évoquer sa
mort et pas un ne comprenait encore bien ce que cela voulait dire. Il eut
ensuite des paroles obscures au moment de distribuer le pain, remplit une coupe
de vin en annonçant : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang »,
ajoutant en mangeant : « S’il arrive que je ne sois plus parmi vous, faites
ceci en mémoire de moi. » Judas écoutait à peine, et mastiquait sans s’en
rendre compte. Il voyait le soleil qui tombait et sentait que se rapprochait le
temps d’aller chez Nicodème.
Jésus mit à un moment la main dans la
corbeille de pain en même temps que lui. Il immobilisa les doigts de Judas dans
les siens, tirant ce dernier de ses pensées.
« L’un d’entre vous me trahira, dit-il
alors.
— Pas moi, pas moi, se mirent à jurer
tous les apôtres.
— Non : c’est celui qui met la main
au plat avec moi en ce moment. »
Judas dégagea sa main comme si un serpent l’avait
piqué et regarda Jésus, paniqué. Le visage du prêcheur restait impassible. Il
eut l’impression que Jésus lui donnait son accord, le rendait au destin qu’il
avait choisi, comme s’il s’y attendait, comme si cela devait même l’aider lui aussi
à accomplir ce qui devait l’être. Alors, pour ne pas prendre le risque de
changer d’avis, Judas se leva précipitamment, bouscula Jean et, sans dire au
revoir à personne, s’enfonça dans la nuit.
Il arriva chez Nicodème essoufflé après une
longue course et s’arrêta quelques minutes pour reprendre sa respiration. Puis
il poussa la grille.
Le vieil homme l’attendait, et avec lui trois
autres sanhédrites, tous vêtus du manteau blanc et des houppettes bleues. Il
les leur présenta.
« Voici Siméon, Moïse et Joseph. Ma
démarche les a étonnés, car nous ne sommes pas habituellement du même bord. Mais
je les crois aptes à écouter ce que tu as à leur proposer, et à en tirer le
meilleur parti. »
Judas sentit dans la façon dont ils lui
rendirent son salut le mépris avec lequel il savait qu’il devrait désormais
vivre, même en cas de triomphe.
« Je suis venu vous livrer le prophète
Jésus.
— Prophète ? Tu as de ces mots pour
un simple fauteur de troubles ! »
Joseph ricana longuement. Judas se planta les
ongles dans la peau de la main pour avoir la force de continuer.
« Il est beaucoup plus qu’un simple
fauteur de troubles. C’est un des chefs de la clandestinité. C’est lui qui a en
grande partie dirigé l’émeute de la tour de Siloé. »
Les trois hommes bondirent.
« Comment cela, dirigé l’émeute de la
tour ? D’où tiens-tu tes informations ?
— De ce que je ne l’ai pas quitté.
— Qu’est-ce qui me dit que tu ne nous
tends pas un piège ? demanda Moïse.
— Quel piège ? Je vous livre un de
vos ennemis : où peut bien être le piège ?
— Je ne sais pas. Tout cela m’a l’air un
peu trop facile. »
Il fixait Judas avec un regard inquisiteur.
« Si cela ne vous intéresse pas, je garde
pour moi mes renseignements.
— Ne sois pas si susceptible. Je me
demandais juste si… Avoue que c’est étonnant. Et où se
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